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Interview de Véronique Reille-Soult « Nous sommes face à des sujets que nous ne maîtrisons pas »

6 mai 2020

Temps de lecture 3 min

Afin de lutter contre le coronavirus, le gouvernement prépare le terrain pour un éventuel dispositif de "tracking" des Français via une application pour smartphone. Présentée comme un dispositif qui pourrait sauver des vies, cette application est néanmoins décriée à cause des risques de dérives en termes de protection des données personnelles. Éclairage de Véronique Reille-Soult, CEO de Dentsu Consulting.

 

En bref :

Dentsu Consulting est l'entité de consulting de Dentsu Aegis Network dédiée à l’accompagnement des directions générales et des directions marketing, communication et digitales. Dentsu Consulting intervient pour accélérer et sécuriser la prise en compte des impacts de la digitalisation sur les collaborateurs et sur les relations entre les marques et leurs publics cibles.

 

En cette période de crise, votre agence est toujours très active. Quelles sont vos activités depuis le début du confinement ?

Nous confinons et nous télétravaillons. Nous sommes heureux de voir que la distance n'empêche pas de maintenir une certaine proximité et une forme de collaboration avec nos clients.

Nous avons une forte activité de gestion de crise. Nous n’avons pas connu de baisse d'activité depuis le début du confinement et nous avons même de nouveaux clients. En parallèle, nous accompagnons aussi des clients à l'international, ce qui demande une amplitude horaire importante. Malheureusement, certains de nos clients souffrent plus que d’autres. Les choses étant compliquées pour eux, nous les accompagnons à titre presque amical aujourd’hui.

Nos journées sont très denses. Elles commencent très tôt et se terminent très tard. Cependant, nous avons remarqué que le fait de devoir tout planifier et tout organiser ne contribuent pas à l’efficacité. Le hasard et la spontanéité peuvent être une source de performance. Depuis le début du travail à distance, nous sommes tous à l’heure à nos réunions. C'est étonnant à quel point l’imprévu peut être un vecteur inconnu de la productivité.

 

Votre agence analyse en permanence les opinions sur les réseaux sociaux. Le sujet d’actualité est le tracking digital. Qu’avez-vous pu observer à ce niveau ?

Sur les réseaux sociaux, les gens sont plus que perplexes. Les Français ont tendance à craindre pour leurs libertés et ont peur d’être fichés et suivis. Ce sentiment d’insécurité s’est renforcé avec les nombreux scandales, dont le dernier en date est Cambridge Analytica.

À l’heure actuelle, si les gens qui s'expriment sur les réseaux sociaux sont significativement nombreux, nous ne pouvons pourtant pas tirer de conclusions, car ces derniers ne représentent, en effet, pas la totalité des Français !

C’est aussi un sujet sensible qui divise l’opinion publique : d’une part, c’est une solution qui pourrait nous protéger, et, d’autre part, il y a une crainte que les restrictions de liberté et le contrôle des données personnelles ne s'installent dans le temps. En effet, généralement, lorsque nous concédons un peu de liberté, c'est assez rare de pouvoir revenir en arrière. Il ne faut donc pas que ce soit le cas ! C’est clairement un sujet qui nécessite une réflexion profonde et poussée, notamment en termes d’impact sur le futur.

Beaucoup de Français se demandent à juste titre si, dans le cadre de ce « tracking », les informations personnelles qu’ils vont communiquer au gouvernement peuvent être détournées. Il y a donc un important travail de pédagogie à mener par le gouvernement pour faire accepter ce dispositif qui pourrait éviter de nouvelles contaminations. Je pense qu’il est nécessaire de mettre en place des débats afin de mettre ce sujet devant nos concitoyens. Il serait peut-être aussi utile de procéder à un vote pour que chacun puisse donner son point de vue.

Il est évidemment que nous ne regretterons pas ce qui pourrait s’avérer être un mal pour un bien.

Entre le risque d’un côté et le bénéfice de l’autre, le choix ne sera pas évident pour les Français. Qu’en pensez-vous ?

Nous sommes sur une logique identique à celle du confinement. Est-ce que nos concitoyens avaient vraiment envie de rester autant de semaines enfermés chez eux ? Non, mais en sachant que c'est pour le bien commun, alors là, oui.

Je pense que le principal problème est que la question du tracking est un sujet que les Français ne maîtrisent pas. Lors de sa dernière intervention, Édouard Philippe, le Premier Ministre a exposé des chiffres pour décrire où étaient les Français, où ils sont partis durant ce confinement et ce qu’ils font. Les chiffres donnent l'impression que les choses sont rationnelles et permettent de dissocier l'émotion de la réalité. La source de ces chiffres est Google. Nous pouvons donc dire que, d’une certaine manière, nous sommes presque déjà trackés. En effet, il ne faut pas oublier qu’en cette période de télétravail, nous utilisons énormément les outils digitaux et nous pouvons donc laisser des traces sur le net qui peuvent induire en erreur. Pour tout un chacun, il s’agit donc aussi de savoir maîtriser ces données.

 

Mais dans le contexte actuel, une pandémie d’un genre nouveau qui va laisser à un monde nouveau, est-il opportun d’utiliser des outils du passé, comme le tracking ?

C’est très compliqué parce que nous sommes face à des sujets que nous ne maîtrisons pas : d’une part la pandémie et d’autre part le dispositif de tracking digital. Sur le plan technologique, ce n’est certes pas un outil innovant. Mais pour la plupart des Français, c’est une chose nouvelle. Cette situation laisse place à des fantasmes qui prennent racine dans l’imaginaire de chacun d’entre nous, car le fond rhétorique n’est pas là. Il est plus que jamais nécessaire d’avoir une proposition claire avec des explications nettes pour que nous puissions exposer les différents points de vue et en débattre.

 

Et installerez-vous cette application ?

Je l’installerai une fois que nous saurons précisément ce que nous allons en faire, ce à quoi cela va servir, et si tout cela a vraiment du sens !