Impact : mobilisation générale ! [3/4]
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PARTIE 3. Une affaire de Parisiens ? L'impact est-il solvable dans les territoires et la question sociable ?
C'est une rengaine qu'on entend souvent : « L'impact, ce n'est pas pour nous », comme pour dire que parmi les entreprises, il y a celles qui peuvent se permettre de s'aligner sur le mieux-disant social et environnemental, et celles qui ne peuvent pas se payer ce luxe. En creux, il y aurait « Paris et le reste du monde » - un « reste du monde » confusément constitué de territoires soumis aux enjeux de désindustrialisation-réindustrialisation, d'attrition des talents et surtout de pilotage de trésorerie. En somme, un vaste secteur de l'économie, ignoré des « journalistes parisiens », n'aurait pas que ça à faire.
Fin du monde, fin du mois
Pourtant, rien n'est moins vrai. Non seulement l'impact ne s'arrête pas aux frontières, réelles ou symboliques, de la capitale, mais il concerne tous les secteurs et tous les types de population. Exemple : en avril 2024, la complémentaire auto Roole (ex « Club Identicar» œuvrait pour faire adopter par l'Assemblée nationale une loi « visant à favoriser le réemploi des véhicules an service des mobilités durables et solidaires sur les territoires ». Concrètement, se félicite Aleth d'Assignies, Chief Impact Officer de Roole, « cette loi propose un dispositif pour que les dizaines de milliers de voitures, en bon état de fonctionnement et les moins polluantes promises à la casse, dans le cadre de la prime à la conversion, soient réemployées à des fins de location sociale et solidaire (pour environ 100€ par mois). Ce flux de voitures viendra alimenter le réseau de garages solidaires qui retapent et remettent dans le circuit les véhicules donnés par des particuliers et dont le nombre est jusqu'ici loin d'être suffisant » Grâce à ce dispositif, on assiste à une forme de réconciliation entre la « fin du monde » et la « fin du mois » : repousser sa date de mise à la casse permet d'amortir le coût énergétique d'un véhicule, tandis que les plus précaires bénéficient d'une aide qui les désenclave socialement. « Voilà une bonne définition de l'impact », assure Aleth d'Assignies. « Aller au-delà de la mesure, mais faire, opérer réellement les choses ».
Mobilité sociale
Même son de cloche pour le cabinet de conseil Tenzing, qui recrute des consultants en dehors des circuits traditionnels des grandes écoles dans un souci de mobilité sociale, et qui réinjecte une partie de ses dividendes au profit d'associations qui promeuvent l'égalité des chances, partout sur le territoire. « L'impact dépasse largement le cadre de ce qu'on entend traditionnellement par le couple inclusion-diversité », plaide Elodie Baussand, l'une de ses associée-fondatrice.
« Il faut penser vos engagements en fonction de votre raison d'être. Pour la réaliser, le plus difficile est d'adopter une stratégie RH et RSE qui fonctionne de concert. Ensuite, cette stratégie peut être déployée partout dans le pays, à condition d'aller sur le terrain. Le partage de la valeur et l'action sociale n'ont pas de frontières ». Parmi les associations soutenues durablement par le cabinet, on trouve Chemins d'avenirs, dont l'objectif est de « révéler le potentiel des jeunes des zones rurales et des petites villes ».
Alors que l'on a tendance à voir notre pays comme « archipélisé », soumis à la défiance entre la France des villes et la fameuse « France périphérique » (Christophe Guilluy), les politiques d'impact sont assurément un vecteur de réconciliation. Si Paris demeure une locomotive, car c'est là où se concentrent le pouvoir et l'ébullition intellectuelle, rien ne pourra se faire sans infuser partout les principes de la RSE. Mieux : depuis qu'on parle de « revanche de la province » (Jérôme Batout), c'est désormais au cœur des écosystèmes territoriaux que l'innovation sociale et environnementale est la plus vivace. L'impact, vecteur de réconciliation nationale, qui l'eut cru ?
En janvier 2024, UWR a publié une étude d’impact 360° menée sur l’activité de ses 56 centres commerciaux en Europe. Au-delà des métriques classiques (économique, sociale et environnementale), on y trouve une mesure inédite : la contribution à l’intérêt général. Aigline de Ginestous en détaille les grandes lignes pour Inspir’.
Qu’est-ce qui fait que cette étude n’est pas une étude comme les autres ?
L’objectif d’URW est de créer des lieux durables qui réinventent le vivre-ensemble. Nous avons publié notre nouvelle feuille de route RSE, Better Places, en octobre 2023. Nous avons voulu être ambitieux et innover avec cette étude qui mesure l’impact de nos centres à 360°. C’est la première fois qu’une foncière commerciale engage publiquement cette démarche en tenant compte de l’économique, du social, de l’environnemental, mais aussi de la contribution au bien commun, ce qui demande une certaine exigence et une grosse rigueur méthodologique. Surtout quand on le fait de manière granulaire au niveau européen, par pays et par centre.
Comment vous y êtes-vous pris ?
Pour la première fois, nous souhaitions qualifier et quantifier l’apport de nos 56 centres commerciaux dans un rapport accessible à tous, sans avoir fait Sciences Po ! Nous avons associé nos parties prenantes à la démarche pour intégrer leurs perspectives et nous nous sommes fait accompagner par des experts, notamment PWC, pour assurer la robustesse et l’objectivité des résultats. L’objectif était de se détacher de la technicité du reporting comme la CSRD.Ce qui intéresse un maire, une ONG ou un citoyen, ce n’est pas ce que URW génère pour lui ou emploie en direct, c’est ce que l’activité apporte au global pour le territoire, en regardant la contribution directe, indirecte, induite et hébergée.
Comment éviter, quand on parle de vivre-ensemble, les accusations « washing » (green, social...) ?
C’est un risque. C’est d’ailleurs toute l’audace de la démarche. Beaucoup d’entreprises font face à des critiques sur le manque d’ambition environnementale et sociale, mais se font critiquer lorsqu’elles en parlent. Un centre commercial, c’est le seul lieu privé où, du SDF à la personne la plus aisée, on peut passer une journée entière sans dépenser un euro, tout ça dans des endroits propres, éclairés, chauffés l’hiver et climatisés l’été. C’est un bien commun. Nous avons voulu, modestement et à notre échelle, ouvrir le débat, alors que nous souffrons bien souvent de préjugés sur notre activité. Une France moche périphérique du « tout voiture », alors que nous sommes au coeur des villes avec plus de 50% des visiteurs venant en transport durable. Un lieu où l’on vient à 77 % en famille et avec des amis, pour passer des bons moments (46 % des visites sont liés à la restauration, et 27 % au loisir). L’impact est intrinsèque à notre business. Nous sommes une entreprise privée et citoyenne, qui contribue à l’intérêt général : je suis très fière de nos actions. Par exemple, la santé pour tous, avec des espaces prêtés pendant le Covid pour des centres de vaccination. La culture pour tous aussi, avec la grande exposition Champollion du Louvre-Lens au coeur de Westfield Euralille.
C’est quand on est « gros » que l’impact est le plus fort ?
Au contraire ! Nous montrons qu’en étant petit, on peut avoir un effet catalyseur et entraîner un impact plus fort. Nous avons réduit de 71 % notre empreinte carbone depuis 2015, mais ce que montre l’étude, c’est que pour chaque tonne réduite sur ce qui dépend de nous, 17 tonnes ont été réduites sur le reste de la chaîne de valeur. Avec 700 millions de visites annuelles dans nos centres, on touche en moyenne 17 % de la population des pays, et 80 % des habitants des villes où l’on est présent. En ordre de grandeur, Westfield Forum des Halles reçoit 58 millions de visites annuelles quand Le Louvre en reçoit 8 millions. On peut faire des choses positives avec ce flux. On a par exemple relayé la grande consultation de Make.org et du Parlement Européen sur l’Europe de demain pour engager nos visiteurs dans le débat citoyen en amont des élections européennes. Nous avons tissé un partenariat avec l’ONU Femmes lors de la journée des droits des femmes du 8 mars, en diffusant sur tous nos écrans dans le monde la campagne « Invest In Woman », c’est une première mondiale ! Nous sommes apolitiques, mais à notre petite échelle, on peut agir.
Avez-vous pensé à dégager un indicateur global d’impact ?
Oui mais il est difficile d’utiliser un seul indicateur quand on veut présenter des chiffres pertinents qui parlent à tous les acteurs. Tout ne peut pas se mesurer en euros. Le carbone, l’énergie, la biodiversité, l’emploi, le lien social ou l’ascension sociale ont chacun une mesure. Nous voulions apporter humblement notre pierre à l’édifice et chercher à impulser une dynamique. Pour aller plus loin, nous avons lancé avec la fondation Palladio et EY une coalition d’acteurs publics / privés pour travailler à la mesure de l’impact de l’industrie de la ville. J’appelle tous ceux que cela intéresse à nous rejoindre !
Retrouvez la dernière partie de notre dossier IMPACT : mobilisation générale [4/4].