Inspirant

Alexia Laroche Joubert, CEO de Banijay France.

Dirigeante, productrice, animatrice, mère de famille... Alexia Laroche-Joubert cumule les casquettes. Déterminée et persévérante, elle ne s’est jamais rien interdit. Elle a été élevée dans l’idée que rien n’est inaccessible. La clé, peut être, de sa réussite ...

Notre dossier du mois porte sur le pouvoir. Qu’est-ce que ce mot représente pour vous ?
Pour moi le pouvoir c’est la possibilité de compter, d’aboutir des projets, d’influer sur le cours de votre entreprise ou même du secteur et enfin des responsabilités !
Vous aimez le détenir ?
Quand vous avez le pouvoir, les gens n’ont pas les moyens de de se disputer avec vous. J’admire les gens qui savent s’imposer.
Quel manager êtes-vous ?
Savoir s’entourer, c’est très important. Je sais prendre des décisions et bien recruter. Pour moi, être chef d’entreprise, c’est percevoir chez l’autre la frustration et son talent. Quand vous avez des gens qui sont heureux de travailler avec vous, c’est une satisfaction énorme. Je suis consciente que j’ai une approche un peu « raide », mais je suis plus douce après. Je suis à la fois dure et empathique.
Est-ce difficile d’évoluer en tant que femme dans un univers masculin ?
Dans le secteur de l’audiovisuel, les hommes nous ont toujours tolérées en nous mettant à des fonctions artistiques qu’ils perçoivent comme une qualité. Quand vous devenez chef d’entre- prise, que vous négociez avec eux, que vous les attaquez, les choses peuvent se complexifier. Quand une femme commence à parler à un homme de la même façon qu’ils se parlent entre eux, il le vit souvent comme une humiliation.
Quel regard portez-vous sur les inégalités hommes-femmes ?
Je n’en ai pas été victime, néanmoins, je trouve que les femmes ont beaucoup de pression sur les épaules, avec l’obligation de réussir. De manière générale, elles ne demandent pas assez. Les hommes osent davantage. Il faut être capable de « gueuler » comme eux pour se faire entendre.
L’audiovisuel, c’était un rêve depuis toujours ?
J’ai très tôt été attirée par la réalisation. Quand j’allais chez mon père qui avait ma garde le week-end, je dormais dans le salon. Une chance car quand il allait se coucher, j’avais accès à toute la vidéothèque si bien que j’ai regardé énor-mément de films pendant mon adolescence. J’ai toujours été très curieuse. Un peu mélancolique et solitaire aussi. En revanche, je n’étais pas une bonne élève.
Banijay, c’est une réussite spectaculaire. On a l’impression que tout ce que vous touchez se transforme en or ? Quelle est votre recette magique ?
Pour commencer, la loyauté. J’ai suivi Stéphane Courbit, qui a créé le groupe. C’est important d’être en connexion avec la vision de votre patron. Un de mes moteurs, c’est de travailler avec des gens que je respecte.
Peu de femmes gèrent un groupe dans le monde des médias ...
En effet. Il y a Delphine Ernotte, mais elle exerce dans le service public. Il faut reconnaitre aux boîtes américaines qu’elles ont mis à la tête de Disney et Netflix des femmes Il faut avoir le courage de ses envies, autrement dit être capable de claquer la porte, et c’est ce que j’ai fait quand j’ai quitté Endemol en donnant ma démission, alors que j’étais numéro 3. J’ai monté une boîte sur mes propres deniers de façon à être plus indépendante et alignée avec mes valeurs.

Je suis une fonceuse

Par la suite, vous êtes devenue animatrice, cela aussi, c’était un rêve ?
Pas du tout, c’est arrivé par hasard. On ne trouvait pas de directeur pour la Star Academy, si bien qu’un jour, mon patron m’a dit que puisque j’étais productrice, je n’avais qu’à le faire.
Beaucoup d’animateurs sont devenus producteurs, dans l’autre sens, c’est plus rare. Est-ce que cela vous a plu ?
En effet, c’est assez unique. Cela ne m’a pas beaucoup intéressée d’être à l’antenne. C’est intéressant d’être à la fois à l’extérieur et à l’intérieur d’un programme, de pouvoir influer sur le déroulé des choses. Pendant 7 ans, j’ai été dans le foyer de millions de Français, parce qu’à l’époque, les audiences étaient énormes. Je fais partie d’une forme de mémoire collective, et j’avoue que c’est parfois une sorte de sésame.
Ma drôle de vie, Nice People, La Ferme Célébrités, Première Compagnie, Secret Story, Dilemme, Les Ch’tis, Une saison au zoo, Le Maillon faible, Koh Lanta, Fort Boyard… la liste des programmes que vous avez animés ou produits donne le tournis. Rétrospectivement, quel regard portez-vous sur votre carrière ?
Je ne suis pas une spécialiste du recul. Je suis plutôt une fonceuse, toujours un peu la tête dans le guidon. Ce dont je suis fière, c’est de durer, car dans ce métier, ce n’est pas simple. On a la chance de travailler dans un secteur où on raconte des histoires. C’est une manière de toucher la sen- sibilité des gens, et cela m’émeut. Je me suis offert le luxe de travailler avec des gens que j’aimais. Je suis sensible à la connivence intellectuelle. Je porte un regard attendri sur les programmes très divers que j’ai produits. J’ai pris des risques éditoriaux (pour Loft Story par exemple) ou économiques (comme pour aller tourner Koh Lanta en plein Covid).
Quel est le programme qui vous a le plus marqué ?
Toujours difficile à dire. J’ai été très marquée par l’expérience Miss France le plus gros programme indoor en France. Je me suis battue pour l’avoir parce que c’est un show qui me fait rêver, de par la magie des tenues, la beauté des robes… Plus de 400 personnes interviennent sur ce programme diffusé en direct. Et puis, il y a cet ascenseur social, en vertu duquel des jeunes femmes vont soudain changer de vie. J’aime ce côté "game changer".
Comment évolue le monde de l’audiovisuel ?
Il devient compliqué pour les diffuseurs. Nous, en tant que producteurs de contenus, nous racontons des histoires et le monde aura toujours besoin de s’évader à travers nos programmes entre autres. Pour cela notre préoccupation, c’est de rester toujours en phase avec les tendances de l’époque. Il est intéressant de noter que comme dans beaucoup de secteur, il y a des modes. La Hollande a été précurseur en matière de télé-réalité, les Israéliens ont été très inventifs en fiction. Actuellement, les Coréens sont très créatifs en matière de programmes.
Vous avez énormément voyagé, dans ces différents pays et ailleurs. Comment avez- vous réussi à concilier vie pro et vie perso, sachant que vous avez deux filles ?
Je les ai moins vues que probablement certaines mamans mais, elles se savent aimées. Elles ont été élevées par des nounous, mais je ne l’ai pas vécu comme un sacrifice. Nous avons toutes les trois trouvées un équilibre. Ma mère, qui était reporter, m’a appris à ne jamais me poser la question de l’impossibilité de faire les choses. C’est quelque chose que j’ai également transmis à mes filles. Elles ne se posent pas la question de l’accessibilité.
Vous définissez-vous comme une workholic ? Je ne bois pas d’alcool, car je suis très rapidement ivre. Même si j’ai découvert que j’aimais bien le Syrah. En revanche, je suis addict au travail. Au lieu de dire je pourrais travailler 3/4 temps, je suis capable par lapsus de dire 4/3 temps. Je m’accomplis dans le travail.

Et que faites-vous quand vous ne travaillez pas ?
J’adore les animaux. J’ai un chien et deux chevaux qui sont en retraite. J’ai arrêté de monter il y a deux ans parce que ma fonction ne me le permettait plus. Un vrai regret ! J’ai passé ma vie à cheval. Quand le père de ma fille aînée est décédé, le seul moment où je n’y pensais pas, c’était à cheval. Cela m’a sauvé de beaucoup de choses. Je fais du tai-chi, un art martial qui permet de travailler sur les points d’équilibre, et ainsi de faire face au stress.
Est-ce que vous vous croyez au hasard ?
Je crois plutôt à l’alignement des planètes. Il y a une très jolie phrase, que j’ai empruntée au père de Christian Louboutin. Cet ébéniste avait coutume de dire qu’il faut « aller dans le sens du bois », sinon on prend le risque d’attraper des échardes. Dans ma vie, j’ai suivi le sens de mes envies sans aucune velléité mercantile ni volonté d’accéder à une forme d’aura. Selon moi, cela permet de faire les bons choix.
Précisément, quelles sont vos valeurs ?
La cohérence et la patience. Il faut monter chaque étape, sans les brûler, mais en se stabilisant avant de passer à la suivante. Je me suis laissé le temps de conquérir des territoires avant d’en appréhender d’autres. Je dirai aussi la valeur courage car je n’ai pas peur de me tromper, ainsi que la curiosité.
Quels sont les combats qui vous tiennent à cœur ?
J’ai réussi à produire un programme dont on a un peu parlé, et qui n’a pas été un succès d’audience ou financier. De l’Or dans les Yeux porte sur les jeux spéciaux, avec 7 500 athlètes atteints d’un handicap mental issus du monde entier réunis à Berlin en 2013.
Qu’est-ce qui vous met en joie et qu’est-ce qui vous révolte ?
Je suis quelqu’un de joyeux. Le côté « canaille » me met en joie. Tout comme le fait d’avoir des programmes qui fonctionnent, de voir mes filles bien grandir... Ce qui me met en colère, c’est qu’on me prête des intentions que je n’ai pas et qu’on interprète mal mes actions.
Vous avez déjà écrit beaucoup de pages de votre histoire. Si vous deviez en écrire une nouvelle, laquelle serait-elle ?
Difficile à dire car je suis dans le bon sens du terme, une opportuniste, au sens où je saisis les opportunités. Je n’ai pas de plan de carrière... Tant que je suis heureuse, là, je reste. C’est ce qui a toujours guidé mes choix. 

 

Crédit photo : Pierre Olivier Calede