Droits d'entreprise

Le Tribunal de Commerce de Paris : Protéger l'entreprise

    Temps de lecture 10 minutes

    Première session : Comment éviter les contentieux ?

    Lors de la première session, le 22 novembre 2018, le MEDEF Paris recevait Patrick Coupeaud, juge au Tribunal de Commerce de Paris. Devant un auditoire attentif, il a recensé les différentes actions à mener pour éviter le contentieux. Interview.

     

    ARNAUD DREYFUSS, ADMINISTRATEUR DU MEDEF PARIS ET DIRECTEUR DU GROUPE STR : Concernant les tribunaux de commerce, pouvez-vous nous donner quelques éléments de contexte historique et nous en expliquer le fonctionnement ?

    Les juges consulaires aiment à rap­peler que le tribunal de commerce est une institution particulièrement ancienne puisqu’elle date de 1563 et reste la seule à avoir traversé en l’état la Révolution française. C’est Michel de l’Hôpital qui proposa au roi Charles IX de créer les tribunaux de commerce sur le modèle d’institutions existant en Italie. Renforcée par Colbert en 1663, et enrichie du Code civil sous Napoléon, l’institution continue à rendre une justice efficace avec un taux d’infirmation des plus faibles. Ainsi à Paris, 15 % de nos affaires contentieuses font l’objet d’un appel et seuls 2 % sont infirmées. Les taux sont encore plus faibles en procédures collectives. Venir devant les tribunaux de commerce est donc en soi une garantie. Il y a actuellement en France 133 tribunaux de commerce ce qui représente 3 200 juges consulaires. Elus et bénévoles, leur limite d’âge est portée à 75 ans. Leur mission consiste à trouver, aux côtés des dirigeants, les moyens de redresser les entreprises en difficultés de façon efficace et pérenne. Le tribunal de commerce possède deux grandes branches : le contentieux et la procédure collec­tive. Le contentieux est un exercice juridique et intellectuel quand la pro­cédure collective est un processus plus économique et juridique. Le contentieux représente les 2/3 de notre activité. Ainsi, sur les 20 chambres du Tribunal de Commerce de Paris, 15 sont dévolues au contentieux. Ces 15 chambres sont spécialisées (droit de la construction, droit des médias, droit international, droit de la rupture brutale et de la concurrence déloyale, droit du transport, droit des socié­tés…). Le contentieux ce sont aussi les requêtes, les référés, les injonctions de payer… en somme une grande palette d’outils mis à la disposition du chef d’entreprise en difficulté. Aujourd’hui, le souhait des tribu­naux de commerce est de regrouper la justice économique. En ce sens, nous cherchons à récupérer un certain nombre de compétences actuellement du ressort du tribunal de grande instance dont par exemple les baux commerciaux. C’est pour nous un paradoxe de les voir traités ailleurs qu’au tribunal de commerce.

     

    ARNAUD DREYFUSS : Que recommandez-vous aux entrepreneurs pour éviter d’aller au tribunal ?

    La première des précautions est de bien rédiger ses contrats. L’essentiel se joue là car, de même qu’un contrat de travail mal ficelé peut rapidement vous mener aux prud’hommes, un contrat commercial mal pensé peut vous mener devant le tribunal de commerce.

    Le tribunal de commerce juge en droit et non en équité, or ils sont très sou­vent confondus. Les juges consulaires travaillent à partir des pièces et des documents qui leur sont fournis, et non sur des témoignages car rien ne remplace la preuve écrite. Une réforme importante du droit des contrats (par une ordonnance du 16 février 2016 ratifiée le 20 avril 2018 et à destination de contrats pos­térieurs au 1er octobre 2016) modifie essentiellement 4 points. Le premier est une obligation d’information pen­dant le temps de négociation d’un contrat. Il est en effet désormais pos­sible d’assigner son co-contractant au motif d’une information cachée, ce qui peut avoir d’importantes consé­quences sur le contentieux. Pour ne pas avoir à reprocher à un contractant d’avoir dissimulé des éléments au moment de l’élaboration écrite du contrat, les parties doivent échanger des informations.

    Deuxième point : les articles qui concernent la « violence » lors de la formation du contrat, dont par exemple l’abus de dépendance qui entraine de fait un vice du consen­tement. S’il y a un déséquilibre entre les co-contractants, le plus faible peut ouvrir un contentieux au motif de la contrainte, de la dépendance écono­mique ou de l’absence de libre-arbitre. Le champ est vaste.

    Troisième point : les clauses abu­sives dans les contrats d’adhésion. Le nouveau Code civil distingue bien les contrats de gré à gré. Le contrat d’adhésion est celui pour lequel l’un des contractants n’est pas libre de rédiger les clauses (tel qu’un contrat avec un opérateur téléphonique ou un géant de la grande distribution). On peut ici arguer d’un déséquilibre significatif dans le contrat.

    Enfin, quatrième et dernier point : la théorie de l’imprévision. Elle entraine une renégociation éventuelle du contrat si survient un imprévi­sible changement de circonstances économiques lors de la signature du contrat qui rende l’exécution dudit contrat trop onéreuse pour l’un des deux co-contractants.

    Ces 4 points, auxquels il faut être très attentif quand on négocie un contrat, ouvrent la porte à des possibilités de contentieux et donne au juge beau­coup de latitude d’interprétation que vient conforter dans les nouveaux articles l’usage d’adverbes (excessi­vement, manifestement…).

    FLORENCE NETTER (FLORENCE NETTER RH) : La clause d’imprévision peut-elle intégrer des cas très variés ?

    Voici ce que dit sur le sujet l’ar­ticle 1195 du Code civil : « Si un changement de circonstances imprévi­sibles lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement oné­reuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son co-contractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la négociation. En cas de refus ou d’échec de la négociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai rai­sonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin à la date et aux conditions qu’il fixe ». Cette clause d’imprévi­sion peut donc être soit une cause de résolution amiable, soit une cause de contentieux. Lors des négociations de contrats, de façon à éviter – ou limiter – les contentieux postérieurs, il est essentiel que les entreprises puissent bénéficier de conseils susceptibles de leur appor­ter un éclairage juridique.

     

    ARNAUD DREYFUSS : Que faire lorsque le litige survient ?

    Le mieux est toujours d’essayer de se rapprocher de son adversaire pour tenter de trouver un accord transac­tionnel. Il existe des conciliations ou des médiations avant procès et des conciliations ou des médiations alors même que le procès est engagé. C’est à l’entreprise et à son conseil qu’il appar­tient de se positionner. Aujourd’hui, les barreaux encouragent de plus en plus la conciliation avant procès, que ce soit par l’intermédiaire d’un avocat ou par celui d’un tiers conciliateur. Le Tribunal de Commerce de Paris propose en ce sens une procédure nouvelle : quand l’affaire vient devant la chambre de placement pour être affectée à une chambre de contentieux spécialisée, un accord avec le barreau de Paris nous permet de disposer de 10 semaines. Nous mettons à profit ce délai pour essayer de concilier les parties avant qu’elles ne reviennent devant la chambre de contentieux. Ce dispositif est d’autant plus utile qu’il est désormais demandé de prou­ver les efforts de conciliation menés avant assignation. Nous allons mettre en place au Tribunal de Commerce de Paris le principe d’une requête conjointe de désignation d’un conci­liateur. Si le conciliateur échoue et si les parties en décident, alors seulement il y a procès.

    « Il est essentiel de venir devant le tribunal avec un dossier étayé par des pièces incontestables »

    ARNAUD DREYFUSS : Si le temps de la justice est long, qu’en est-il du temps de la justice commerciale ?

    Il est bien plus court ! Quand on vient devant nous en contentieux, il faut compter de 15 jours à 3 semaines pour être devant la chambre de placement. Cette chambre statue sur certaines demandes et renvoie à 10 semaines les autres affaires devant les chambres de contentieux en fonction de leur spécialisation ou de leur charge de travail respective. Le juge qui instruit l’affaire est celui qui connait le sujet, les parties lui ayant adressé leurs pièces au moins 10 jours avant l’audience. Il est essentiel de venir devant le tribunal avec un dossier étayé par des pièces incon­testables. Le formalisme n’est pas nécessaire et les mails, les comptes rendus de réunions et les sms actés par huissier ont ici force de preuve. On s’aperçoit trop souvent que les dossiers sont indéfendables en raison de leur faiblesse ou d’un défaut de preuves. Le juge rédige sa motivation du jugement puis la soumet aux deux autres juges car c’est à trois qu’ils plai­deront. Le juge dispose alors d’une semaine pour rédiger le jugement. Une affaire peut donc être bouclée en 20 semaines. Il peut néanmoins arriver que certaines durent plusieurs mois, voire plusieurs années, et que l’on entre alors dans un jeu de pingpong infini. Si l’affaire se poursuit en appel, il n’est pas rare de partir pour 3 à 4 ans avant d’obtenir un jugement. Fort heureusement, le juge peut désormais imposer un calendrier aux parties ce qui permet d’accélérer les procédures. Le tribunal de Paris tient en effet à ce qu’une affaire dure moins d’un an. Il y a toutefois de fortes disparités sur le sujet car les tribunaux jouissent d’une grande souplesse de gestion.

     

    ARNAUD DREYFUSS : Quelles sont les précautions à prendre quand on souhaite mettre un terme à un contrat avec un prestataire ?

    Si vous être le contractant qui rompt le contrat, il faut éviter, autant que faire se peut, de le faire de façon bru­tale tout en réussissant à faire preuve de franchise. Autrefois, la jurispru­dence considérait qu’il fallait accorder environ un mois de préavis par année d’ancienneté de la relation commer­ciale. Aujourd’hui, il est rare d’aller au-delà de 18 mois. Le préjudice se traduit désormais par des dommages et intérêts calculés sur la marge brute dégagée par l’opération par mois mul­tipliée par le nombre de mois que l’on considère comme un préavis raisonnable. Il est aussi possible de prolonger le préavis plus longtemps que prévu. Ainsi, l’article 446 stipule qu’en cas de brutalité de la rupture, le préavis contractuel, jugé insuffi­sant compte tenu de la longévité des relations commerciales établies, sera augmenté. L’idée du préavis complé­mentaire est motivée par la dépen­dance économique du prestataire et la nécessité de lui laisser le temps de retrouver de nouveaux clients. À Paris, nous rendons sur le sujet des juge­ments très motivés. Devant le tribunal de commerce, la procédure est orale contrairement aux tribunaux administratifs dont les procédures sont totalement écrites. Il est également possible de produire une nouvelle pièce ou une nouvelle revendication alors même que l’on est devant le juge ce que nous cherchons par ailleurs à limiter afin d’éviter les renvois.

     

    JEAN-RENÉ GRITON (AURIGNAC FUSION) : Avez-vous le sentiment que les dernières modifications du droit des contrats soient utilisées par les avocats pour rallonger les délais… sachant que l’option de ne pas payer est parfois utile au développement d’une entreprise ?

    Vous évoquez-là des contrats signés à partir du 1er octobre 2016. Ils n’ont pas encore donné lieu à un conten­tieux abondant. Nous n’avons donc pas assez de recul pour en juger mais je crois pouvoir dire que l’allonge­ment du délai provient plutôt de l’exploitation de la procédure par certains avocats particulièrement procéduriers. Encore une fois, il appartient au juge de savoir mettre un terme aux renvois.

     

    Interview de Patrick Coupeau, juge au Tribunal de Commerce de Paris

    Après une carrière dans l’industrie des biens de consommation durable puis comme associé dans un cabi­net spécialisé en restructuration d’entreprise, Patrick Coupeau a été élu juge au Tribunal de Commerce de Paris en 2013.

     

    Devenir juge consulaire était-ce pour vous le parachèvement d’une vie professionnelle bien remplie ?

    Mon objectif était de réussir, une fois en retraite, à m’inscrire dans la continuité de ma vie professionnelle, sachant que pendant les 15 dernières années j’étais associé d’un cabinet de restructuration d’entreprise, qu’à ce titre j’avais eu à connaître des diffi­cultés des entreprises et que j’avais eu souvent affaire aux tribunaux de commerce. Par ailleurs, j’aspirais à faire quelque chose qui soit à la fois utile socialement et épanouissant intellectuellement. Or l’activité de juge consulaire a une utilité sociale évidente et elle nécessite de garder l’esprit alerte. Elle exige aussi de se former à des droits spécifiques, tels que le droit des sociétés ou le droit financier, et de suivre une formation continue.

     

    Comment fait-on acte de candidature ?

    La procédure que je vais vous décrire est celle en vigueur au Tribunal de Commerce de Paris.

    On commence par faire part de son souhait d’être juge au vice-président du tribunal de commerce, puis l’on constitue un dossier récapitulant les différentes étapes de son parcours professionnel. Si votre dossier de can­didature est retenu, vous passez alors devant un jury d’une quinzaine de personnes devant lequel vous devez donner un avis sur une assignation. Lors d’une deuxième épreuve, vous devez traiter pendant 3 minutes devant une salle d’une centaine de personnes d’un sujet choisi parmi trois propositions. Il s’agit à l’occasion de ces deux épreuves d’estimer à la fois votre capacité d’analyse et la qualité de votre expression.

    A l’issue de ce process qui confirme votre candidature, vous êtes en mesure de vous présenter à l’élection des juges consulaires qui a lieu en octobre. Une fois élu, le candidat entame immédia­tement un cycle de formation dispensé d’octobre à décembre, au sein du tribunal, par des juges du tribunal ainsi que par des magistrats profes­sionnels. Ces trois mois de formation intensive sont sanctionnés par un examen. Les reçus prêtent serment début janvier devant le premier pré­sident de la cour d’appel et sont, dans un premier temps, appuyés par des juges plus expérimentés au sein de leur formation de délibéré. Ils continuent à se former activement pendant toute la première année de judicature et sont tenus par la suite à de la formation continue. J’ai, pour ma part, suivi entre 80 et 100 heures de formation par an depuis mon entrée au Tribunal de Commerce de Paris, en 2013.

     

    « J’aspirais à faire quelque chose qui soit à la fois utile socialement et épanouissant intellectuellement »

     

    L’activité de juge consulaire est-elle compatible avec une vie professionnelle ?

    Certainement et nous avons de nom­breux juges toujours en activité. Pour autant, mener de front une vie pro­fessionnelle et son activité de juge consulaire suppose une réelle capacité à se dégager du temps pour assurer sa fonction de juge. Car si un juge de chambre de contentieux ne passe physiquement au tribunal qu’une demie journée à une journée par semaine, il lui faut en outre préparer ses audiences et rédiger ses projets de jugement. Pour un juge de chambre de procédures collectives le temps de présence physique au tribunal peut dépasser la journée par semaine. Le juge peut aussi se porter volontaire pour assurer des audiences de préven­tion des difficultés des entreprises, des audiences de requête ou des audiences de référé, ce qui augmente le temps qu’il doit consacrer à sa fonction de juge consulaire qui, rappelons-le, est une fonction bénévole.

    La récente loi sur la Justice du xxie siècle a fixé à 75 ans l’âge limite pour exercer la fonction de juge consulaire. Le Tribunal de Commerce de Paris est attentif aujourd’hui au recrutement de candidats plutôt jeunes, à même d’aller au bout de leurs 14 ans de judicature (2 ans puis 3 x 4 ans) car il existe une courbe d’expérience. Pour être à l’aise dans la fonction, il faut de 2 à 3 ans. Pour être expert, il faut 10 ans. Nous avons donc besoin de juges qui durent pour rendre une justice la meilleure et la plus efficace possible.

    Quant à la mixité, même s’il reste encore beaucoup d’efforts à faire, elle est une réalité au sein du Tribunal de Commerce de Paris. Dans ma pro­motion, nous étions 18 juges dont 6 femmes. Une femme, Madame Rey, a été présidente de notre tribunal de 2004 à 2007. Et c’est une femme, Mme Dostert, qui assurera la fonction de vice-présidente à partir de 2019.

    Enfin, chaque tribunal a son organi­sation spécifique. Celui de Paris, qui compte 180 juges, est certifié ISO : cette politique Qualité lui impose une organisation particulière et le respect de certains critères notamment en ce qui concerne les délais de jugement.

     

    Quelles vous paraissent être les qualités nécessaires pour être un bon juge au tribunal de commerce ?

    Il faut des qualités d’écoute, d’objec­tivité, d’impartialité, d’analyse, de synthèse et de rédaction. Il faut avoir l’esprit clair et vif. Il faut aussi une grande modestie car nous sommes là pour appliquer la loi et non pour disponibilité en temps, car préparer les dossiers et rédiger les jugements prend du temps. Ce sont des travaux que l’on emmène chez soi et pour lesquels il faut accepter, si on est encore en activité, de sacrifier quelques week-ends. La chambre spécialisée à laquelle chaque juge est affecté se réunit tou­jours le même jour de la semaine. Ce jour est fixé en début d’année, ce qui facilite une organisation très en amont et permet de concilier son engagement de juge consulaire et sa vie professionnelle et familiale.

     

    « Nous jugeons en droit, non en équité ! Le juge doit donc se garder de tout affect ; il doit toujours motiver ses jugements de façon précise en s’appuyant sur des moyens de droit »

    Avez-vous le sentiment de vous trouver à un poste d’observation de la société ?

    Le contentieux est incontestable­ment un bon moyen d’observer la vie des entreprises, et les chambres de traitement des difficultés des entre­prises sont un réel observatoire de la vie économique. Dans la partie prévention, qui vient en amont des procédures collectives, il nous est possible, dans l’hypothèse où nous constatons un certain nombre de dys­fonctionnements (pertes récurrentes, privilèges pris par le fisc ou par les organismes sociaux, procédure d’alerte du commissaire aux comptes…), de convoquer le chef d’entreprise en vue de chercher à comprendre avec lui d’où proviennent ces difficultés et d’attirer son attention sur la nécessité de prendre des mesures correctives. J’ajouterai qu’en contentieux, au Tri­bunal de Commerce de Paris, nous avons devant nous des entreprises venues de toute la France, en vertu des clauses d’attribution de juridiction que comportent les contrats. Il arrive aussi que des entreprises étrangères choisissent notre tribunal comme juridiction compétente pour connaître de leurs litiges. Cette attribution de compétence à la place de Paris et à ses juridictions, dont la nôtre, est un point que nous souhaitons dévelop­per. Nous avons en effet, depuis de nombreuses années, au Tribunal de Commerce de Paris une chambre spé­cialisée en Droit international et Droit de l’Union Européenne qui traite des litiges internationaux et, depuis cette année, la cour d’appel de Paris, dispose d’une chambre internationale qui traite des recours relatifs aux litiges internationaux. Ce nouveau dispositif autorise plaidoiries et production de pièces en anglais. Cette dérogation à l’Ordonnance de Villers-Cotterêts marque la volonté de la Chancellerie de voir Paris s’imposer comme place de droit international. Le Brexit en a été évidemment un déclencheur : c’est l’opportunité de déplacer un certain nombre d’affaires internationales de Londres vers Paris.

     

    Si la justice n’est pas la même chose que l’équité, y a-t-il pour autant de l’équité dans la justice ?

    L’équité est compliquée à définir et, en tout état de cause, ce n’est pas l’équité mais le droit qui doit nous guider dans nos jugements : nous jugeons en droit, non en équité ! Le juge doit donc se garder de tout affect ; il doit toujours motiver ses jugements de façon précise en s’appuyant sur des moyens de droit. C’est la première chose que l’on apprend aux nouveaux juges lorsqu’ils rejoignent le tribunal de commerce. Les adverbes et locutions qui émaillent nos codes, tels que « manifestement excessif » par exemple, conservent aux juges tout leur pouvoir d’apprécia­tion, mais quand ils apprécient, il leur appartient de motiver et ce au cas par cas, car chaque affaire est singulière. Nous travaillons sur de la matière humaine, complexe, raison pour laquelle nous aurons toujours besoin du juge, lequel doit avoir une vision large de son rôle et essayer, dans toute la mesure du possible, de promou­voir une voie de sortie du litige par la conciliation, et pas nécessairement par le jugement. L’article 21 du code de procédure civile dispose d’ailleurs qu’il entre dans la mission du juge de concilier les parties. Enfin, en matière de traitement de difficulté des entreprises, il ne faut pas avoir du tribunal de commerce une image caricaturale qui ferait de ce tribunal le tribunal des faillites et des fermetures d’entreprises. Nous avons une vraie préoccupation de la pérennité des entreprises qui viennent devant nous, si elle est possible, et de la sauvegarde des emplois.

    Quelles sont les satisfactions que vous retirez de cette activité ?

    Être juge consulaire est assurément une mission passionnante ! Il faut faire acte de candidature sans crainte car c’est vraiment une façon d’enrichir son parcours profession­nel, ou de le prolonger de façon enrichissante. J’ai rencontré au sein du Tribunal de Commerce de Paris des personnalités toujours intéressantes venus de tous les horizons, aux parcours très divers, et toutes riches d’une expérience pro­fessionnelle charpentée (dirigeants d’entreprise ayant créé leur société, cadres supérieurs, directeurs généraux, directeurs juridiques…). Contrai­rement à ce qui peut se pratiquer en entreprise, et notamment dans les grands groupes, il n’y a au sein du tribunal aucune lutte de pouvoir. Nous y travaillons dans un climat serein où prévaut la collégialité, dans l’intérêt de la justice économique.

     

    Seconde session : Aider les entreprises en difficulté

     

    Lors de la seconde session, le 13 décembre 2018, le MEDEF Paris recevait Jean Messinesi, président du Tribunal de Commerce de Paris. Sur fond de crise des gilets jaunes, alors même que de nombreux commerçants se trouvaient fortement impactés par le mouvement, Jean Messinesi a répondu aux questions de la salle et détaillé le rôle que le tribunal de commerce peut tenir auprès des entreprises, tant en amont qu’en aval des difficultés.

    ARNAUD DREYFUSS, ADMINISTRATEUR AU MEDEF, FONDATEUR DU GROUPE STR : En quoi un chef d’entreprise peut-il être aidé par le Tribunal de commerce dans l’évaluation de sa situation ?

    La saisine du tribunal de commerce, qu’elle soit amiable ou judiciaire, est prévue par la loi. Quand les difficul­tés nous sont remontées, le tribu­nal de commerce convoque le chef d’entreprise. De son côté, ce dernier peut aussi, s’il le souhaite, se rendre spontanément auprès du service de prévention en vue de demander la nomination d’un administrateur ad hoc qui sera chargé de l’accompagner dans ses réflexions et négocier avec ses créanciers. Le chef d’entreprise qui vient en pré­vention s’attend souvent – à tort – à être sanctionné de façon brutale. Le tribunal ne fait pas cela ! La phase de prévention permet simplement de détecter et de traiter les difficultés avant qu’elles ne deviennent telles qu’il ne reste alors que la phase judicaire. Ceux qui, parmi les chefs d’entreprise convo­qués, viennent (un taux de 65 % à Paris) disent tous à cette issue combien ils se sont sentis entendus et compris.

    Ainsi, même s’il n’est pas supposé donner des conseils, le juge ne peut s’empêcher de fournir des éclairages, qu’ils soient pratiques ou juridiques. Dans le cadre de cette phase amiable, il peut orienter le chef d’entreprise en difficulté vers un administrateur judiciaire et demander la nomination pendant une période de 4 mois d’un conciliateur ou d’un mandataire ha hoc. A eux de proposer un mora­toire car ils sont le levier qui autorise la négociation avec les créanciers parmi lesquels la CCSF (Commission des chefs de services financiers) car l’Urssaf et le Trésor public sont les premiers créanciers. Cette négocia­tion qui permet de reporter de 6, 24 voire 48 mois les échéances dues apporte aux chefs d’entreprise en difficulté un peu de répit voire un second souffle. Il est d’autres cas, comme lors de mésentente entre actionnaires, où le chef d’entreprise peut venir au tribunal demander la nomination d’un mandataire ad hoc qui l’aidera à gérer une situa­tion compliquée pour lui. Le chef d’entreprise peut nommer qui il veut comme administrateur judiciaire. Celui-ci doit toutefois être un pro­fessionnel, détenteur d’une expertise et présenter en matière de concilia­tion ou de mandat ad hoc, un projet d’honoraires ce qui permet d’éviter les acteurs indélicats. En tant que président du tribunal de commerce, il m’appartient de signer les demandes d’honoraires. Elles s’établissent au temps passé ou à l’acte et sont, dans tous les cas, moins élevées que celles d’un avocat. Il y a à Paris une dizaine d’administrateurs judiciaires nommés les uns à la suite des autres afin que tous aient l’opportunité de travailler. J’ajouterai enfin que la première chose pertinente à faire quand on rencontre des difficultés est selon moi d’aller voir sa banque, sa compa­gnie d’assurance ou son organisation syndicale est de leur expliquer la situation.

     

    « La phase de prévention permet simplement de détecter et de traiter les difficultés avant qu’elles ne deviennent telles qu’il ne reste alors que la phase judicaire »

     

    EMMANUEL BONNAUD (CAPZANINE SITUATIONS SPÉCIALES) : Avant de parler à son banquier, n’est-il pas plus judicieux d’aller voir le tribunal de commerce pour recenser, dans le cadre d’un rendez-vous informel, les solutions possibles avant que ne soit prises des mesures conservatoires ? Il est en effet parfois difficile, quand les positions ont déjà été prises, de créer un environnement de dialogue suffisamment ouvert avec son banquier…

    Il est clair que les démarches volon­taires sont bien mieux perçues que celles menées sous contrainte, le dos au mur. En outre, un cadre institution­nel favorise les échanges entre acteurs et intérêts divergents. Pour autant, nous savons que le chef d’entreprise a déjà des difficultés à venir quand on le convoque, il est donc peu plausible qu’il vienne de lui-même.

     

    ARNAUD DREYFUSS : Que risque concrètement un chef d’entreprise en allant – ou pas – au tribunal ?

    Dans le cadre initial d’une procédure amiable, il n’y a aucune sanction si le chef d’entreprise ne répond pas à la convocation du tribunal. Si la situation continue à se dégrader et que de nou­velles injonctions de payer sont requises contre lui, une deuxième convocation lui sera retournée, toujours sans sanc­tion, s’il n’y répond pas. Ces entretiens sont précieux. Appelés « prévention entretien », ils permettent de ren­contrer des chefs d’entreprise qui se déclarent souvent soulagés de pouvoir partager leurs difficultés avec des juges qui connaissent le monde des affaires, comprennent leurs enjeux et ont une vue d’ensemble des problématiques. En revanche, une fois le bilan déposé et la liquidation judiciaire enclenchée, soit par le chef d’entreprise lui-même, soit par le biais d’une assignation d’un fournisseur ou d’un salarié, la machine judiciaire se met en route. Il appartient alors au tribunal, dans le cadre de l’ins­truction du dossier, de s’assurer que le chef d’entreprise a mené toutes les actions nécessaires conformément à la loi. Au final, il faut savoir que seuls les escrocs sont lourdement sanctionnés.

     

    FLORENCE NETTER (FLORENCE NETTER RH) : Dans le cadre d’une conciliation amiable, le chef d’entreprise garde-t-il la main sur ses dépenses ?

    Il garde la totalité de ses pouvoirs. En aucun cas l’administrateur ne peut faire de chèque à sa place. Il est rarissime d’ailleurs qu’un administrateur soit nommé aux fins de gestion.

     

    ARNAUD DREYFUSS : Quelle différence entre le mandataire et l’administrateur judiciaire ?

    Un administrateur judiciaire assiste, surveille ou gère l’entreprise dans le cadre d’un redressement judiciaire ou d’une procédure de sauvegarde. Il ne s’occupe que de l’entreprise et aide le dirigeant à élaborer le plan de continuation. Le mandataire judiciaire représente les créanciers. Il ne s’occupe que de la dette et contacte l’ensemble des créanciers après avoir procédé à l’examen des livres.

    « Il y a deux choses qui puissent réconcilier la justice consulaire et le peuple : la déontologie et la compétence »

    JEAN-LOUIS SCHILANSKY, PRÉSIDENT DU MEDEF PARIS : Je suis frappé par la sémantique propre au monde de la justice commerciale : tribunal, administrateur judiciaire, redressement judiciaire… Or, il me parait y avoir un écart significatif entre ces mots, dont le sens est pour le moins effrayant, et le fonctionnement manifestement plutôt bienveillant, du tribunal.

    La justice et les juges ont évolué. Tout concoure aujourd’hui à trouver la solution la plus adaptée à la situa­tion jugée ce que confirme par ailleurs notre très faible taux d’appel. Je veux dire ici combien je suis admiratif du dévouement et de la disponibilité des juges qui, comme vous le savez, sont bénévoles. L’image du Tribunal de Commerce de Paris – qui est d’abord un service public – doit changer pour mieux témoigner de l’implication et de l’intégrité de sa justice.

     

    DANIEL BRECHIGNAC (BAYSPRING) : La situation des tribunaux de commerce est très différente selon la territorialité. Comment un entrepreneur peut-il se renseigner pour connaitre l’interlocuteur le plus adapté à ses besoins, sachant que les petits tribunaux peuvent souffrir de problèmes de confidentialité ou de collusion d’intérêt ?

    Je défends pour ma part l’idée qu’il faudrait fermer 80 tribunaux de commerce en France ! Le système est en effet aujourd’hui totalement pervers, porté par un principe de collusion dans certains tribunaux de province qui donne une image dégradée de la justice commerciale. Il peut arriver que certains administrateurs judiciaires ne soient pas honnêtes – et il faut avoir le courage de les dénoncer – cela étant, il n’y a pas au tribunal de Paris de juges malhonnêtes. Il n’y a que deux choses qui puissent réconcilier la justice consulaire et le peuple : la déontologie et la compé­tence. Il faut des juges intègres et des systèmes de formation interne qui leur assurent une réelle compétence. À Paris, les nouvelles promotions sont tenues de suivre des cours intensifs assurés du 1er septembre au 22 janvier par d’anciens juges et des professeurs de droit de l’ENM. La difficulté dans les petits tribunaux de commerce de province est que les juges y voient tout au plus 5 dossiers par an. La courbe d’expérience et la qualité d’expertise ne peuvent évidemment progresser dans ce contexte.

     

    JEAN-YVES MARQUET (DS AVOCAT) : Existe-t-il des échanges confidentiels entre tribunaux pour éliminer les individus susceptibles de porter préjudice à l’institution ?

    Hélas non ! Il est même arrivé que l’Etat soit condamné pour ne pas avoir nommé un administrateur judiciaire aussi régulièrement que ses pairs, même si les raisons de ne pas le choisir étaient tout à fait louables… L’administrateur judiciaire dépendant directement d’un tribunal, toutes les dérives sont possibles… Pour limiter les conflits d’intérêt – et à défaut de supprimer les petits tribunaux de pro­vince, ce que personne n’a le courage politique de faire – l’idéal serait de les relier à de plus grands tribunaux.

     

    JEAN-YVES MARQUET (DS AVOCAT) : Faut-il songer à une professionnalisation des tribunaux de commerce ?

    L’État n’a pas aujourd’hui les moyens de payer des juges consulaires. Par ailleurs, je crois bon que, dans la vieille tradition de 1563, la justice commer­ciale soit toujours rendue par des juges qui ont pratiqué le monde des affaires et en ont une fine perception. A titre personnel, je suis contre l’échevinage, ce système d’organisation judiciaire dans lequel les affaires sont entendues et jugées par des juridictions composées à la fois de magistrats professionnels, et de personnes n’appartenant pas à la magistrature professionnelle. Il n’est en effet pas possible d’attirer des candidats de valeur, porteurs d’une forme de vocation, s’ils se trouvent cornaqués par des magistrats professionnels. Je suis en revanche pour la mixité et la venue au tribunal de commerce de jeunes issus de l’ENM qui feraient là leur mobilité au même titre que les élèves de l’ENA la font dans l’ad­ministration. En parallèle, les juges consulaires leur apporteraient leur connaissance du monde des affaires. Tout ceci participerait à accroitre plus encore la qualité de la justice que nous rendons. J’ajouterai que le Tribunal de Commerce de Paris est certifié Afnor, gage de notre engagement, de notre sérieux et de notre célérité car, dans l’ensemble, les jugements sont rendus entre 12 et 13 mois après le début de la procédure. Enfin, il faudrait pouvoir inclure dans les contrats d’import/export, une clause d’attribution de juridiction en faveur de la chambre internationale du Tribu­nal de Commerce de Paris et de celle de la cour d’Appel de Paris. La chambre internationale, qui existe depuis 1993, était jusqu’alors confidentielle et n’avait pas de deuxième degré de juridiction ce qui n’est plus le cas avec l’ouverture d’une chambre internationale à la cour d’appel de Paris.

     

    Après une carrière au Fonds moné­taire international, puis dans diffé­rentes banques étrangères, Jean Messinesi a été élu juge consulaire en 2006. Il est président du Tribunal de Commerce de Paris depuis 2015 (avec prise de fonction en janvier 2016). Atteint par la limite d’âge (75 ans), il quittera le tribunal le 22 janvier 2019 et sera remplacé par Paul-Louis Netter.

     

    Interview de Jean Messinesi, président du Tribunal de Commerce de Paris

    A quoi sert concrètement un président de tribunal de commerce ?

    Les présidents étant élus pour quatre ans et n’étant pas, en tous les cas à Paris, rééligibles, chacun a ses priorités couplées aux responsabilités d’un chef de juridiction. Comme un chef d’entreprise, le président doit veiller à la bonne marche du tribunal, à la collaboration de tous les juges et à la qualité des décisions rendues. Il doit aussi faire en sorte que les juges aient à leur disposition un minimum de moyens, et pour cela il doit se battre. Au-delà de ces responsabilités de ges­tion courante, j’ai voulu pour ma part que le tribunal soit mieux connu, tant au sein des milieux d’affaires, que de la Chancellerie et des opérateurs étrangers. J’ai parlé du tribunal autant qu’il était possible et j’ai essayé de faire en sorte que les chefs d’entre­prise soient plus conscients de ce que nous pouvons leur apporter en matière de prévention des difficul­tés des entreprises, de conciliation et de contentieux. Parallèlement, je me suis battu pour que les juges des tribunaux de commerce, ceux de Paris en particulier, soient reconnus et considérés. Les juges consulaires ne sont pas parfaits, ils ont des lacunes, ni plus ni moins que les magistrats de carrière qui les regardent pour­tant parfois avec condescendance. Mais nous sommes conscients du fait que nos connaissances juridiques, en particulier en matière de procé­dure, sont souvent incomplètes ; c’est pourquoi nous consacrons un temps important à la formation au-delà de ce qui est requis par les textes. Mais les juges consulaires ont aussi d’autres talents qui ne sont pas uni­versellement répandus au sein de la magistrature. Ce sont des hommes d’affaire, des praticiens de l’économie qui savent de quoi ils parlent et qui comprennent les différends qui leur sont soumis.

     

    « Comme un chef d’entreprise, le président doit veiller à la bonne marche du tribunal, à la collaboration de tous les juges et à la qualité des décisions rendues »

    Quand on vient vous voir assez tôt, vous pouvez être un soutien, mais quand on vient trop tard, vous êtes une sanction. Est-ce pour cela que les chefs d’entreprise se méfient de vous ?

    Nous pâtissons hélas d’un déficit de communication contre lequel j’ai essayé de lutter. La justice commer­ciale demeure mal connue, notam­ment dans ce qu’elle peut apporter à ceux qui font face à des difficultés et qui devraient faire appel à elle. Dans le cadre de la prévention, nous convo­quons les dirigeants des entreprises qui donnent des signes de fragilité : inscriptions de privilèges, non-dépôts des bilans, alertes des commissaires aux comptes ou même parfois des représentants des salariés. Or, ces dirigeants sont extrêmement réticents à se rendre à nos convocations. Ils ont tort, eux-mêmes le disent ; lorsqu’ils acceptent l’entretien ils en ressortent réconfortés et mieux à même de faire face à leurs problèmes. En matière de traitement des diffi­cultés des entreprises, le tribunal de commerce est souvent perçu comme un recours de dernière chance et dans l’esprit de beaucoup c’est là qu’on liquide les entreprises et qu’on sanctionne leurs dirigeants. Or, nous souhaitons faire tout le contraire : participer au redressement des entre­prises en difficulté et lorsque ce n’est pas possible, donner une seconde chance aux dirigeants à travers la liquidation judiciaire qui permet le rebond des dirigeants honnêtes. En France, dans ce domaine, nous ne savons peut-être pas expliquer que le rôle de la justice économique n’est pas de tuer les entreprises et de condamner leurs dirigeants. Force est de constater que la justice jouit d’une image plus positive dans la culture anglo-saxonne où les juristes participent d’avantage à la marche des entreprises et à la réalisation de leurs objectifs. Tout ceci questionne la façon dont le droit est intégré à la cité. Le MEDEF doit comprendre que le tribunal de commerce peut être d’un grand intérêt pour les chefs d’entre­prise, en particulier en matière de prévention des difficultés des entre­prises, mais aussi dans le cadre de la résolution des différends. La tendance aujourd’hui est à l’organisation des modes alternatifs des règlements de différends (MARD). Le tribunal y prend pleinement sa part, en par­ticulier à travers un certain nombre de juges qui conduisent avec succès des conciliations. Les organisations patronales et les présidents de tribunaux de commerce tireraient bénéfice à se rencontrer pour mieux comprendre ce qu’ils peuvent s’apporter mutuellement et mener des actions de communication conjointes et mieux structurées. Enfin, en ce qui concerne l’aspect humain des procédures collectives, nous pouvons proposer une assistance aux chefs d’entreprise en difficulté, à travers plusieurs associations qui les aident à traverser ces moments parfois très difficiles, y compris sur le plan psychologique. Une association bap­tisée APESA (Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aigüe), créée en 2013, est aujourd’hui déployé dans quatorze tribunaux de commerce, en partenariat avec des chambres consulaires, des experts comptables, ou des organisations professionnelles de proximité ; elle devrait voir le jour à Paris dès le début de l’année

    Vous avez aussi beaucoup milité pour la fermeture des petits tribunaux de commerce de province… Avez-vous défendu d’autres réformes ?

    J’ai effectivement beaucoup prôné la fermeture d’un grand nombre de tribunaux de commerce de province tout simplement parce qu’ils n’ont pas la taille critique pour rendre une justice de qualité. Il y a 134 tribunaux de commerce en France, certains ont moins de 12 juges et traitent très peu d’affaires. Comme les petites mater­nités, plus le tribunal est petit, moins il offre à ses juges la possibilité de se former et d’acquérir de l’expérience et met ainsi les parties en risque. Enfin, plus son ressort est limité plus il est le théâtre de conflits d’intérêt.

    Autre sujet pour moi fondamental et sur lequel j’ai cherché à attirer l’atten­tion depuis que je suis président, c’est celui du coût de la justice et de ses moyens. Je trouve en effet invraisem­blable que des entreprises dont l’objet même est de gagner de l’argent et de distribuer le fruit de leurs profits à leurs actionnaires, ne payent rien pour les services qu’ils obtiennent tribunal. Pourquoi la justice serait-elle gratuite à ceux qui font métier de commercer ? Pourquoi le tribunal de commerce apporterait-il gracieusement à un chef d’entreprise la solution à son problème alors que quand ce dernier a recours à l’arbitrage, la procédure lui revient très cher.

    La gratuité de la justice économique n’a aucun sens, sauf évidemment pour ce qui touche aux difficultés des entreprises. La justice de contentieux qui tranche les disputes entre entre­prises doit être payante, et qu’on ne me dise pas qu’on paie des impôts pour assurer la bonne marche de la justice, parce que ce n’est pas le cas ! Visiblement la justice n’est pas une priorité et nos impôts n’y suffisent pas.

    « En France, dans ce domaine, nous ne savons peut-être pas expliquer que le rôle de la justice économique n’est pas de tuer les entreprises et de condamner leurs dirigeants »

    Disposez-vous au tribunal d’une enveloppe de fonctionnement ?

    Lorsque j’ai été élu, nous disposions en tout et pour tout de 12 000 euros par an ce qui ne permet évidemment rien. A force d’en parler à tout le monde, j’ai réussi à obtenir que les dépenses concernant la rénovation de l’éclairage et de la peinture soit prise en charge par le TGI, mais en matière de fonctionnement il n’y a guère eu de progrès et non seulement la fonction de juge ne rapporte rien mais elle coûte, pour celle de pré­sident c’est encore pire ! Je suis fier d’avoir obtenu après trois ans d’efforts l’inscription du palais du tribunal au titre des Monuments historiques car le bâtiment, qui appartient à la ville de Paris qui le donne en bail emphytéotique à la justice, se détériore faute d’entretien et son dôme, miné par les infiltrations d’eau, est en piteux état. Mais, Ô miracle, le dôme va être réparé, la coupole va être rénovée, les pein­tures marouflées qui l’ornent vont être restaurées. Il reste cependant beaucoup à faire !

    Quittez-vous cette maison à regret ?

    Sans amertume mais un peu triste, puisqu’élu pour 4 ans, je n’en ferai finalement que 3, étant atteint par la limite d’âge. La loi s’est appliquée ici de façon rétroactive, ce qui est très surprenant, particulièrement en matière de mandat électif. Le travail effectué dans ce tribunal a été incontestablement pour moi d’un grand intérêt, et j’ai une grande admiration pour les juges, bénévoles, de ce tribunal, pour leur compétence, leur dévouement et leur éthique.

    Interview de Paul-Louis Netter, successeur de Jean Messinesi à la présidence du Tribunal de Commerce de Paris

    À titre personnel, que veniez-vous chercher en vous portant candidat comme juge au tribunal de commerce ?

    À la fois de l’utilité sociale, de l’inté­rêt intellectuel et la possibilité de continuer à me sociabiliser. Quand, comme moi, on a accompli l’en­semble de sa carrière dans un seul secteur professionnel (la banque), on a ici l’opportunité de rencontrer des individualités qui ont suivi des chemins différents c’est-à-dire que l’on n’aurait guère eu l’occasion de rencontrer et avec lesquelles on peut forger de vrais liens d’amitié.

    C’est par le bouche-à-oreille que, comme bon nombre de juges, j’ai appris l’existence du tribunal de commerce. L’idée de faire acte de candidature est venue après quelques entretiens. J’ai opéré un tuilage entre ma dernière année d’activité profes­sionnelle et mon entrée au tribunal, une simultanéité qui n’est pas aisée à pratiquer et pour laquelle il faut accepter de sacrifier parfois ses soi­rées et ses week-ends. D’autant que Paris est un tribunal exigeant avec beaucoup d’affaires à traiter, 7 000 nouvelles par an en contentieux, ce qui permet évidemment de parcourir assez vite la courbe d’expérience. Pour ce qui me concerne, je traitais en contentieux environ 60 jugements par an et consacrais à cette époque 2 jours ½ par semaine à l’activité du tribunal. Cela étant, nous bénéficions à chaque promotion d’un assez large contingent d’arrivants plutôt dispo­nibles c’est-à-dire jeunes retraités.

     

    « Paris est un tribunal exigeant avec beaucoup d’affaires à traiter : 7 000 nouvelles par an en contentieux »

    Quels défis concentre l’élection d’un nouveau président ?

    Le tribunal est incontestablement un endroit convivial, sans enjeu ni lutte de pouvoir ce qui tranche singuliè­rement avec ce que nous avons tous connu en entreprise. La promotion ici se fait suivant l’ordre du tableau, c’est-à-dire à l’ancienneté, ce qui contribue à alimenter une bonne ambiance et à focaliser l’attention sur les problématiques qui nous sont soumises. La seule compétition organisée est l’élection du président dont le taux de participation très élevé (pas loin de 95 %), souligne l’intérêt qu’elle suscite. Le Président, qui est élu par ses pairs – et qui est de ce fait légitime – joue un rôle important en favorisant la cohésion et en représentant l’institution. La campagne électorale a par ailleurs ce mérite de permettre de faire remonter certains sujets de préoccupations ou possibilités d’améliorations.

    Pour ma part, jusqu’ici vice-président, j’ai été élu président pour la durée de fin de mandat de Jean Messinesi (soit un an), puisqu’il est atteint par la limite d’âge. J’entends me représenter en octobre 2019, cette fois pour un mandat de 4 ans. J’ai également choisi mon vice-président, Nathalie Dos­tert, précédemment président de la chambre du droit de la concurrence.

     

    Faut-il être très capé pour être un bon juge consulaire ?

    Ce n’est pas nécessaire même si les juges consulaires sont globalement assez diplômés. Il y a ici de ce point de vue, une richesse intellectuelle exceptionnelle. Il est tout de même remarquable de pouvoir réunir, autour d’un sujet qu’ils aiment, des gens venant d’horizons multiples, tous portés par la volonté de se rendre utiles, et riches d’excellentes forma­tions et de parcours professionnels réussis. L’intérêt général, le bénévolat et le service public de la justice font sens pour nous. Tout ceci fait le ciment de cette institution et nourrit notre profond attachement à celle-ci. À cet égard, la présence, sur les nombreuses plaques de marbre qui ornent nos couloirs, des noms des juges du Tri­bunal de Commerce de Paris recensés là depuis le xvie siècle, illustre cet état d’esprit.

    Un autre signe de cet attachement est la présence lors de notre audience solennelle de rentrée de la plupart des anciens présidents du tribunal qui témoignent ainsi de leur fidélité.

     

    « Nous devons mener un travail de communication auprès des petites entreprises en vue de faire comprendre notre utilité »

    Pensez-vous que le tribunal soit le reflet des données économiques du moment ?

    Oui, pour autant que Paris soit repré­sentatif de celles-ci : car de grandes affaires viennent devant nous soit en redressement ou liquidation, soit, et nous le souhaitons davantage, en prévention ou en sauvegarde. Aujourd’hui l’activité en procédure collective a tendance à refluer en rai­son notamment d’une amélioration de la conjoncture et parce que ceux qui restent sont soit plus résistants soit plus combatifs, soit simplement mieux gérés. Au tribunal, nous cher­chons autant que faire se peut à éviter la liquidation mais hélas nombre d’entreprises arrivent devant nous bien trop tard alors que nous portons l’idée qu’il faut venir nous voir le plus tôt possible de façon à bénéficier des modes de prévention (conciliation, mandat ad hoc, sauvegarde). Venir à temps prouve que vous avez su prendre les devants et que vous n’êtes pas encore – ou depuis peu – en cessa­tion de paiements (condition par ail­leurs requise pour venir devant nous). Nommer un conciliateur permet d’aider le chef d’entreprise à négocier sa dette. Certaines procédures ont par ailleurs l’avantage d’arrêter les poursuites des créanciers. Se mettre sous la protection du tribunal a un sens très concret : vous ne recevez plus de relances de vos créanciers et vous savez que vos difficultés vont se régler dans un cadre général.

     

    Comment faire comprendre aux chefs d’entreprise que le tribunal peut être un outil très aidant ?

    Il est vrai qu’à l’exception des grandes entreprises qui connaissent bien les mécanismes proposés et savent les utiliser, nous sommes mal connus des petites structures qui se méfient de nous car le mot « tribunal » porte en soi une image de rigueur. À nous de mener un travail de communication en vue de faire comprendre notre utilité car nous parlons le même lan­gage que les chefs d’entreprise. Leur culture est la nôtre, ce qui est extrê­mement précieux pour eux et nous permet d’être crédibles. Les entre­prises dont le greffe nous a signalé les difficultés et que nous convoquons dans le cadre de nos missions éco­nomiques, répondent à hauteur de 60 % à nos propositions d’entretien. Se retrouver en entretien de préven­tion-détection, face à quelqu’un qui objective les difficultés de la société peut être rassurant et surtout utile. Nous sommes très attachés à cette activité d’écoute même si elle n’est pas à proprement parler juridictionnelle.

    Si nous sommes très soucieux d’aider les entreprises, nous sommes sans faiblesse pour les comportements hautement répréhensibles ou illé­gaux. Les personnes malhonnêtes sont des éléments perturbateurs de la vie économique et celles qui se comportent mal et portent préjudice aux autres doivent être exclus de la vie des affaires. Ainsi, la mise en place par le Conseil national des greffes du Fichier national des interdits de gérer (FNIG) est en ce sens un pro­grès. Aller en province si on s’est fait condamner à Paris n’est désormais plus possible.

     

    Propos du dossier recueillis par Nathalie Zimra