Changer le monde

#LaREF24 | Interview de Patrick Martin, président du Mouvement des Entreprises de France.

Temps de lecture : 3 minutes.

« Le pouvoir du MEDEF, c’est la force de son collectif »

« Pouvoir » est la thématique de la REF24 : quelles idées souhaiteriez-vous défendre à travers à ce mot ?
Le pouvoir, c’est la capacité à agir mais c’est aussi la reconnaissance par autrui d’une autorité. En 2024, les cartes du pouvoir sont profondément rebattues à l’heure où plus de la moitié de l’humanité est appelée à voter. Mais le pouvoir ne se réduit pas à la politique, c’est aussi le pouvoir de créer, d’innover, de se dépasser, le pouvoir de faire en somme qui est dans les mains des entrepreneurs. C’est aussi le pouvoir des idées, le rôle des contre-pouvoirs... Bref, ce thème est non seulement d’une actualité brûlante mais il est aussi un questionnement pour nos démocraties libérales qui sont à la recherche de réponses aux défis qu’elles doivent relever. Le pouvoir, son incarnation, les prises de décisions et leurs conséquences seront au coeur de nos débats. Leur profondeur et leur diversité contribueront à montrer la voie. Des débats respectueux, sans tabou ni dogme. J’ai pour volonté que notre mouvement soit un MEDEF d’affirmation, qui fasse pleinement vivre le débat d’idées, non pas par intellectualisme mais à la lumière de notre légitimité, celle de première organisation patronale de France et pour proposer à nos 200 000 entreprises adhérentes des analyses toujours plus pointues sur les grands sujets qui comptent pour elles. Le pouvoir du MEDEF pour reprendre le thème de cette REF, c’est la force de son collectif : 200 000 entreprises adhérentes je le redis, de toutes tailles – une entreprise adhérente du MEDEF compte en moyenne 47 salariés ! – et de tous secteurs, employant plus de 10 millions de salariés, 119 MEDEF territoriaux et régionaux, 100 fédérations adhérentes regroupant 420 organisations professionnelles et nous permettant de couvrir tous les secteurs de notre économie.

Rarement, depuis la chute du mur de Berlin, la géopolitique n’avait eu un tel impact sur l’économie française. La performance de nos entreprises a-t-elle pâti, selon vous, de la guerre en Ukraine et de celle au Proche-Orient ? Peut-elle être affectée par le résultat de la présidentielle américaine du 5 novembre ?
Nos entreprises font face à un contexte géopolitique particulièrement tendu, du Moyen-Orient à l’Ukraine. Ces conflits font peser des risques sur le commerce international, à l’instar des attaques contre des navires commerciaux en Mer Rouge en janvier dernier. La guerre en Ukraine, le drame humain qu’elle constitue mais également ses répercussions économiques – que ce soit sur le plan énergétique, que des mesures de rétorsion ou des tentatives de déstabilisation visant nos entreprises –, sans oublier la situation au Moyen-Orient et le risque d’extension du conflit, en sont des exemples concrets. À ce panorama géopolitique, s’ajoute une concurrence internationale particulièrement féroce qui fait peser sur la France et l’Europe un risque de décrochage inquiétant. Un risque qui par certains aspects ne relève plus simplement de la potentialité mais d’ores et déjà de la réalité. Je pense à l’écart de productivité croissant avec les États-Unis, creusant le fossé en termes de production de richesse, de pouvoir d’achat, et d’investissement. Sans oublier le drainage de l’épargne européenne en direction de projet américains ambitieux, eux-mêmes subventionnés via l’IRA. Si la rhétorique des différentes administrations américaines varie, la matrice protectionniste des États-Unis s’inscrit dans la continuité. De l’ambition de faire de l’Amérique de Donald Trump « Make America Great Again » à l’IRA de Joe Biden, une constante guide la politique commerciale américaine : America first. À nous – France, Europe – d’être à la hauteur de ces enjeux en permettant à nos entreprises de surmonter ces épreuves.

“ Dans la période d’incertitude que nous traversons, l’entreprise tient bon ”

S’engager pour un entrepreneur, c’est quoi ?
L’engagement quand on est entrepreneur peut prendre une multitude de visages. Tout d’abord, être entrepreneur, c’est déjà s’engager, pour la réussite économique, sociale, environnementale du pays en créant de la richesse et en la partageant, en investissant, en innovant, en recrutant, en formant, en se décarbonant. Cet engagement, c’est celui qui m’anime au sein de mon entreprise bientôt bicentenaire que j’ai à coeur de développer (+96 % de croissance ces 5 dernières années), de lui permettre de créer des emplois (3 000 aujourd’hui) et de se positionner sur les grands défis de notre temps, la transition écologique en premier lieu. J’ai également la chance de connaitre de nombreux entrepreneurs que je qualifie de doublement engagés. Des patrons qui ont fait le choix de s’engager bénévolement, aux côtés de leurs éminentes responsabilités au sein de leur entreprise, dans des associations au service de l’inclusion, de la jeunesse, de la cohésion sociale. Dans la période d’incertitude que nous traversons, où les repères de confiance sont mis à mal, l’entreprise tient bon et nos concitoyens placent en elles beaucoup d’espoir. Je suis convaincu que ces engagements concrets, tangibles, au service de l’intérêt général dont font preuve ces femmes et ces hommes y contribuent grandement. C’est pourquoi j’ai tenu à les inviter il y a quelques semaines au MEDEF afin de partager ensemble des constats, des pistes d’actions communes, et mettre à leur disposition la force du collectif MEDEF afin d’appuyer leurs actions partout en France.

Les chefs d’entreprise ont-ils plus que jamais besoin d’unité ? Quelle place le dialogue social doit-il jouer ?
Les récents événements ont démontré que l’union fait la force. Le MEDEF, la première organisation patronale de France représentant toutes les entreprises, de toutes tailles et de tous secteurs, est particulièrement attaché à faire vivre cette unité patronale, et je m’y emploie au quotidien. Tout comme nos 15 000 mandataires et militants patronaux qui œuvrent pour le paritarisme de gestion. Je crois profondément que dans notre société de plus en plus fracturée, les partenaires sociaux – organisations patronales comme syndicats de salariés – ont un rôle singulier à jouer en matière de cohésion, de dialogue, d’apaisement, mais aussi de réflexion sur l’avenir, par exemple sur le sujet essentiel d’une croissance responsable. Un dialogue social qui rappelons-le a permis récemment d’aboutir à plusieurs accords essentiels (ATMP et indemnités chômage) qui répondent à des attentes réelles des salariés comme des entreprises. De plus, la publication des décrets d’application de la loi Partage de la Valeur, reprenant un accord signé dès février 2023 par quatre des cinq organisations syndicales et les trois organisations patronales, envoie un signal d’espoir. Alors que le sujet du pouvoir d’achat est si prégnant dans le débat public, c’est une preuve que la démocratie sociale est à même de dégager des consensus pour faire avancer le pays sans le déchirer. C’est pourquoi nous continuerons à oeuvrer à sa vitalité, en occupant pleinement notre rôle de première organisation patronale et en participant de la fertilité du dialogue social.

La crise du Covid, en bouleversant le quotidien de millions d’actifs, a fait surgir des interrogations sur le sens du travail, sa valeur existentielle, sa place dans notre système de valeurs. Peut-on parler de crise du travail ?
Il faut tout d’abord déconstruire le mythe du supposé désamour des Français pour le travail : près de 8 français sur 10 se déclarent satisfaits de leur travail et ils sont autant à avoir une bonne image de l’entreprise. De même, alors que notre pays est marqué par des divisions croissantes, la conflictualité en entreprise reste à un niveau historiquement bas. Pour autant, malgré cette réalité, on a vu naître en effet une petite musique sur la scène politique et médiatique, celle de la remise en cause de la valeur travail, la promotion d’un « droit à la paresse » même, et une crainte qui était brandie : la grande démission, épitome d’une soi-disant crise du travail. Cette grande démission, que l’on a constatée aux États-Unis, n’a pas eu lieu en France. Certes, il y a eu des changements de postes au sortir de la pandémie, des révélations personnelles qui ont eu lieu, mais ce n’était pas un « Big Quit » dans le sens où les Français auraient voulu arrêter de travailler. Ce qui est certain, c’est qu’il y a de nouvelles aspirations, de nouvelles attentes à l’égard du travail, que ce soit au niveau des missions, du sens de ces dernières – il faut pour les managers faire peut-être preuve de plus de pédagogie pour embarquer leurs équipes – ou de l’équilibre vie pro/vie perso. À cela s’ajoutent également de nouvelles attentes à l’égard des entreprises. On attend d’elles qu’elles remplissent de nouvelles missions, qui incombaient auparavant surtout à l’État, telles que la formation, l’inclusion, la conduite de la transition écologique... Et les entreprises le font ! Tout l’enjeu aujourd’hui, c’est de leur permettre de jouer pleinement leur rôle au service de l’intérêt général, au service de la réussite du pays. Pour cela, et c’est tout le sens de l’action du MEDEF, il est impératif de leur garantir les prérequis dont elles ont plus que jamais besoin : stabilité, visibilité, lisibilité et compétitivité ! Ne perdons jamais de vue ces impératifs qui sont la condition de la réussite de tous les défis.

Photos : Romuald Meigneux