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Interview - Roxane Rouas Rafowicz, portrait d’une femme libre, épanouie et passionnée

S’écouter, vivre intensément et répondre à ses envies : tel est le triptyque gagnant de Roxane Rouas Rafowicz.

Tour à tour avocate, directrice juridique, organisatrice de concerts, productrice de contenus… Sur tous les plans, elle a l’art de mener mille vies en une.

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À quoi votre enfance a-t-elle ressemblé ?

ROXANE ROUAS RAFOWICZ : Ma mère était d’abord institutrice, puis directrice d’un établissement. Elle nous a donné le modèle d’une femme libre et indépendante.C’était une maîtresse femme qui savait se battre. J’ai grandi aux côtés de deux sœurs dont je suis très proche. Ma grand-mère nous a beaucoup élevées et protégées et j’ai deux tantes maternelles qui sont des artistes et qui ont eu, avant la mode, une vie libre et de créativité. Je souhaite également rendre hommage aux hommes qui m’ont élevé : mon grand-père et mon oncle maternels, des hommes d’engagement qui m’ont appris la solidarité et donné le goût de l’analyse politique. Mon père enfin, autodidacte, interdit d’école par le régime de Vichy parce qu’il était juif, et qui a aimé viscéralement jusqu’à la fin de sa vie la France et a transmis à ses enfants le respect et l’honneur d’être Français.

 

Vous êtes devenue avocate. Était-ce une vocation ?

J’aime l’idée de ne pas être monocorde dans mon existence. J’ai trouvé dans le métier d’avocate pénaliste des similitudes avec le théâtre que j’ai pratiqué. J’ai adoré la créativité qu’il suppose et l’art de la plaidoirie. Néanmoins, en 1998, j’ai vogué vers de nouveaux cieux, car j’ai eu la chance d’être embauchée en tant que directrice juridique au sein du groupe AB, célèbre pour avoir produit des programmes grand public, le club Dorothée, Hélène et les garçons ainsi que d’autres programmes notamment jeunesse. J’étais très attirée par l’audiovisuel. Je suis restée sept ans, avec un immense bonheur. J’ai travaillé de façon acharnée et j’ai beaucoup appris. Avec Claude Berda, nous avions une relation quasi père-fille. Il savait donner une chance à ses collaborateurs, et nous partagions la même exigence. Le fait d’avoir géré une micro entreprise dans le cadre de mon cabinet a représenté un atout.

 

Pourquoi l’aventure s’est-elle arrêtée ? 

ROXANE ROUAS RAFOWICZ : J’avais envie de plus de créativité, j’avais le goût de la production et du contenu, du développement artistique. J’ai la chance d’avoir en moi le sens du business et celui de la création. Les histoires que je vis, que je lis, que j’entends, mon esprit les traduit immédiatement en images et en sons. Je ressentais donc fortement le besoin d’évoluer, et non pas qu’on me colle une « étiquette ». J’ai eu envie d’ailleurs, de nouvelles expériences, de nouvelles couleurs, de nouvelles odeurs. Je sentais que ce serait possible en Israël, un pays qui m’a toujours beaucoup attiré, et où je me rends encore souvent aujourd’hui car mon mari y vit. À l’époque, je n’avais que mes deux fils, et suis donc partie seule avec eux.

 

Précisément, vous semblez très investie dans votre activité professionnelle. Cela vous laisse-t-il du temps pour une vie de famille ?

Le fait que mon mari et moi vivions dans deux pays différents me laisse du temps pour mon activité. Pour le reste, disons que je ne suis pas une maman très « classique ». Parce que dans la mesure où je suis divorcée des pères de mes enfants, j’ai toujours été habituée à jongler avec mes différentes vies. Parce que je consacre beaucoup de temps à mon travail, je n’ai pas passé des heures sur leurs devoirs. J’ai toujours préféré la qualité du temps passé à la quantité. Mes trois enfants sont solidaires de ce que je fais, même s’ils ont certainement souffert de mon atypisme. J’ai néanmoins veillé à ce que la vie soit drôle et qu’ils voient dans mon investissement une source d’inspiration pour leur propre existence. Je leur ai toujours tout dit sans mensonge, et j’aime à discuter avec eux de sujets fondamentaux. J’apprends d’eux autant que je le souhaite ils apprennent de moi.

 

C’est courageux de partir seule avec ses enfants dans un pays qu’on connaît peu, dont on ne parle pas la langue et où on n’a pas de projets d’emploi ?

C’est comme si une voix intérieure m’appelle à chaque fois sur les nouveaux projets et j’ai appris à m’écouter. S’agissant d’Israël, les choses se sont déroulées de façon fluide. L’un de mes amis m’a présenté Éric Toledano lequel m’a mis en relation avec Gad Elmaleh, qui voulait venir faire un spectacle en Israël. Il m’a demandé de me charger de l’orga- nisation. Sachant que je n’avais jamais fait cela de ma vie, je suis extrêmement reconnaissante d’avoir rencontré dans ma vie des gens qui ont cru en moi et qui m’ont donné des opportunités que j’ai saisies. Nous avons fait salle comble avec 3 000 spectateurs à Jérusalem. C’est un souvenir extraor- dinaire. Je suis convaincue qu’il faut toujours s’écouter, car cela vous permet d’être à votre place. Chez moi, c’est une véritable pulsion de vie. Je sentais que j’étais là où je devais être. Et que je faisais ce que je devais faire.

 

Au bout de deux ans, vous êtes quand même revenue en France. Pourquoi ?

Les pères de mes garçons étaient à Paris, et la séparation était longue. Et puis ma propre famille me manquait. Nous sommes très « claniques ». Je voyais mes parents vieillir, et c’était important pour moi d’être à leurs côtés. J’estime que l’équilibre de vie n’est pas que professionnel, il est aussi familial et social. À mon retour, j’ai rencontré le père de ma fille. Quand elle est née, j’ai eu l’impression de transmettre ce que je trouve fondamental dans mon féminin : la liberté et l’indépendance. Cette période magnifique a été aussi celle des bilans. Le moment de m’interroger sur ce que je voulais faire. C’est à ce moment précis qu’une amie est venue me solliciter pour me parler d’un poste de manager de transition au sein de Fremantle. Je ne connaissais pas cette société mais la mission m’intéressait, tout comme l’univers du divertissement que j’avais déjà abordé. D’une part, cela me  remettait le pied à l’étrier en France, d’autre part, je savais que j’avais les aptitudes aussi bien en production que sur les aspects business. J’ai été embauchée en 3 minutes. J’ai appris plus tard que ma capacité à prendre les choses en main, à m’adapter, à me réinventer et à me mettre en mouvement avaient fait la différence précisément dans un contexte de restructuration. Cette mission devait durer six mois. Je suis devenue directrice générale, et elle a finalement duré 11 ans.

 

Pourtant, là aussi, vous avez finalement choisi de changer de cap…

ROXANE ROUAS RAFOWICZ : Oui. J’étais dans une sorte de ronronnement agréable d’activité. J’ai vu passer un appel à candidature, publié par le MEDEF Paris, pour devenir juge consulaire. J’avais conscience que c’était chronophage mais j’avais envie d’essayer, quand bien même il y avait une sorte de « concours d’entrée ». J’ai été acceptée et me suis retrouvée dans un circuit qui suppose énormément d’investissement car on doit avoir les mêmes connaissances qu’un magistrat. Mais c’est passionnant ! J’ai exercé pendant trois ans au tribunal de commerce de Paris, d’abord dans une chambre de droit bancaire et instrument financier, puis deux ans à la chambre de la concurrence. Je suis par ailleurs devenue administratrice au sein du MEDEF Paris

 

Toujours avide de nouveaux défis, vous avez créé récemment Studiofact Media Group. Racontez-nous...

Dans le cadre de mon activité chez Fremantle, j’ai eu le plaisir de rencontrer le journaliste Jacques Aragones. Nous nous sommes très vite bien entendus. Nous partageons un même goût pour les histoires et l’investigation, et nous avions envie de mener des projets ensemble. Il a racheté l’agence de presse, et je l’ai rejoint au bout de six mois. Nous nous sommes lancés en avril 2021, et avons fait évoluer la structure. Notre ligne, c’est de raconter le réel sous toutes ses formes. Nous faisons du documentaire (une cinquante de reportages, magazines et documentaires sont produits par an) ainsi que de la fiction (nous commençons dans quelques semaines le tournage de deux fictions, un unitaire pour M6 et une série pour une plateforme), et nous venons de monter une maison d’édition (nous avons déjà édité trois ouvrages dont un sur le parcours formidable de Nathalie Cros-Coitton (membre du comité exécutif du MEDEF Paris) – Catwalk sur son parcours de femme et d’entrepreneuse et avons cinq ouvrages en préparation pour l’année 2023). Palper nos premiers ouvrages a été particulièrement émouvant. Nous faisons aussi du spectacle vivant et avons un studio de podcast. Tous ces dévelop- pements ont intéressé le groupe Les Echos- Le Parisien (groupe LVMH), qui a pris des parts dans notre structure. Le groupe nous avait déjà confié un an auparavant, à titre exclusif, la transformation audiovisuelle de ses contenus.

 

Sur ce marché de la production audiovisuelle, tout comme de l’édition, il y a une réelle concurrence. Quelle est la valeur ajoutée de StudioFact Media Group ?

Nous sommes les seuls à ne faire que raconter des histoires vraies, mais aussi les seuls à avoir un organe de presse, et pas des moindre, à l’actionnariat. Notre modèle est de penser toutes les histoires en 360. Pour le reste, nous avons choisi d’être une équipe très resserrée, et souhaitons conserver cette ambiance familiale. L’équipe est constituée de pro- fessionnels avérés, animés de la même passion que mon associé et moi-même.

D’ailleurs, quelle est votre vision du management ?

Un producteur c’est un peu un GO Club Med, au sens où il doit tout organiser. Pour autant, c’est très important selon moi d’accompagner les souhaits des collaborateurs, et d’organiser leur évolution pour leur permettre de progresser. La qualité de vie au travail n’est pas un effet de style pour moi. En effet, si quelqu’un est pleinement à sa place, il performera dans la structure et sera épanoui. Les personnes ne nous appartiennent pas ! Jacques et moi nous définissons comme des patrons avec une âme sociale. Nous sommes pleinement impliqués dans les développements créatifs et le business. Le défi, c’est de parvenir simultanément à porter une vision, à être en contact permanent avec les équipes, à développer la structure et à la transformer. C’est passionnant humainement.

 

Votre quotidien, c’est le réel tous azimuts. Dans l’actualité, qu’est-ce qui vous questionne le plus ?

Le fait que les gens ne s’aiment plus. Pas facile à accepter pour une amoureuse de l’amour. J’aimerais plus de bienveillance et d’élégance dans les rapports humains. C’est très important d’aimer, et de le dire

 

Qu’est-ce qui vous ressource ?

La terre. J’aime me réfugier dans ma maison de campagne. Régulièrement, je ramène mes productions au bureau dont les œufs de mes poules. Au contact de mon voisinage, je vis la solidarité et l’amour de la terre. On se parle, on échange des biens et des services. On se raconte nos vies. J’aime ce retour à la terre, j’en ai besoin pour me ressourcer.

 

Ses essentiels

Le dernier livre qui vous a marqué ? Celui que nous avons édité, Catwalk de Nathalie Cros- Coitton. On prépare une fiction à partir de son histoire !

Un lieu dans Paris ? La Tour Eiffel of course ! C’est le symbole de l’audace à la française, intemporelle, belle, majestueuse.

Un mantra ? Regarde les étoiles, pas tes pieds.

Un plat et un vin ? Œufs (de mes poules) cuits à la coque avec une lamelle de truffe sur une tartine de pain de campagne, 1 pincée de sel, et un petit verre de sancerre rouge.

Une appli que vous utilisez souvent ? Je suis Iphone addict mais totalement dépassée par la quantité d’applis.

Un jeu ? Je n’aime que le jeu de la vraie vie, même si j’ai beaucoup ri une soirée en famille avec « Blanc Manger Coco ».

Un mode de déplacement ? J’adore le TER qui m’amène vers la campagne chaque fin de semaine, l’ambiance de la gare me donne l’impression de partir à l’aventure.

Un voyage en terre inconnue ? Je regarde parfois la carte du monde avec mes enfants et on rêve à tous les voyages qu’on aimera faire.