“ Générosité, partage et action : le triptyque gagnant de Pauline Laigneau ”
Après une brève expérience dans l’enseignement, Pauline Laigneau a créé sa marque de joaillerie, Gemmyo, avec son mari.
Dix ans plus tard, elle en dresse le bilan et partage sa vision du leadership et de l’entreprenariat. Patiente mais déterminée, elle fait partie de ceux qui pensent que tout est possible. À condition de s’en donner les moyens…
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Qu’est-ce qui vous a donné envie d’évoluer dans l’univers des bijoux ?
PAULINE LAIGNEAU : Il y a un peu plus de dix ans, lorsque je me suis fiancée, nous avons cherché une bague de fiançailles avec mon compagnon. Nous sommes allées place Vendôme, et avons vu des pièces magnifiques dans de sublimes maisons. Néanmoins, ce qui devait être un moment de complicité, d’échange et de partage s’est avéré être un moment un peu décevant, car l’expérience n’était pas au rendez-vous. Les conseillers n’étaient pas très à l’écoute, ni très chaleureux. Nous avons eu le sentiment d’être traités comme un numéro parmi d’autres. C’est à ce moment-là que nous avons eu envie de créer Gemmyo, dans l’idée d’une approche plus moderne de la joaillerie, afin que l’achat d’une belle pièce soit un moment de joie et pas une épreuve à passer.
Vous avez créé cette marque avec votre mari ?
Exactement. Ce n’était pas du tout prévu et nous ne venions pas du tout de cet univers. On s’est lancé à la façon de David contre Goliath, avec l’ambition de devenir un jour une grande maison.
Travailler "en couple", comment ça se passe ?
PAULINE LAIGNEAU : Je dirais que ce n’est pas fait pour tout le monde. La situation entre nous est très équilibrée, au sens où il n’y a pas de chef. On se dit les choses. Nous sommes un couple assez fusionnel, et connaissons tout de l’autre. Nous prenons des décisions plutôt sur le long terme. Mon conseil pour les couples d’entrepreneurs qui hésitent à se lancer ensemble dans l’aventure, c’est que s’ils éprouvent des réticences, alors il ne faut surtout pas le faire. L’envie doit être partagée des deux côtés car même quand c’est le cas, il peut y avoir des moments très difficiles. Sans compter qu’on met tous ses œufs dans le même panier. En effet, les risques sont plus importants parce que les revenus des deux personnes sont liés au succès de l’entreprise.
Quel est votre mode de management, votre style de leadership ?
Nous avons à peu près 70 collaborateurs aujourd’hui. Certains sont dans l’entreprise quasiment depuis le début. Nous essayons de les accompagner et de les faire grandir à nos côtés. Nous croyons beaucoup à la méritocratie.
Mon management s’articule autour de 3 axes : la méritocratie, la bienveillance et la transparence. Etienne, par exemple, a commencé comme stagiaire, il est maintenant directeur financier. L’engagement est vraiment récompensé.
Vous avez fêté le 10ème anniversaire de Gemmyo. Quel est votre bilan et quels sont vos défis pour l’avenir ?
Nous avons aujourd’hui 7 boutiques, et nous en aurons 8 à la fin de l’année. L’an prochain, nous avons prévu 4 ouvertures de plus. La marque se développe extrêmement vite, y compris à l’international. Nous voulons concilier cette logique de croissance avec l’exigence de qualité.
Comment choisissez-vous l’implantation de vos boutiques ?
En France, nous sommes implantés à Paris (dans le 6ème et le 17ème), Bordeaux, Toulouse, Lyon et bientôt à Aix-en- Provence. Nous avons aussi ouvert des boutiques à Genève et à Bruxelles. Nous fonctionnions sur un mode très ins- tinctif, et sommes, je l’avoue, un peu « émotionnels » dans notre gestion. Les fois où l’on a essayé de faire des choses purement rationnelles qui ne nous plaisaient pas, on le faisait sans doute un peu moins bien. Cela peut paraître un peu naïf mais en réalité c’est une stratégie réfléchie de faire les choses avec une vraie motivation… et donc plus de résultat.
Le fait de partir vivre en Suisse, précisément, c’était un « coup de cœur » ?
J’ai vécu toute ma vie dans des grandes villes comme Paris ou New York. Un jour, je suis allée rendre visite à une amie qui habite Zurich, et qui m’a fait découvrir le lac des quatre-cantons. J’ai eu un coup de foudre pour cet endroit, et j’ai annoncé à mon mari que c’est ici que je voulais vivre. Il a d’abord été surpris, et a évoqué le fait que nos boutiques étaient implantées en France. Cela a mis trois années à se faire, mais nous y vivons désormais. Comme quoi, quand on a un rêve, il faut être patient et se donner les moyens de le réaliser.
Cela n’a pas trop été un « parcours du combattant » ?
Si. Nous avons déménagé dans un village de 4 000 habitants. C’est très différent des environnements que j’avais connus, mais précisément, j’avais envie de nature et de verdure. Et ce, bien avant le Covid ! Le paradoxe, c’est que la distance permet d’avoir plus de recul sur son travail !
“ Mon management s’articule autour de 3 axes : la méritocratie, la bienveillance et la transparence. ”
Votre podcast vous a-t-il permis également de prendre de la hauteur de vue ? Quelle était l’intention de départ ?
En 2018, j’ai créé ce podcast car, comme cela peut arriver dans la vie d’un entrepreneur, j’ai traversé des moments de doutes. Je m’étais tellement donnée dans Gemmyo, que j’avais besoin d’air. J’avais envie d’autre chose dans ma vie. J’ai vécu une période d’introspection importante, assez difficile et j’ai éprouvé le besoin de me nourrir. J’ai pensé qu’un podcast était un moyen merveilleux de réfléchir. Or, il n’y en avait quasiment pas dans le domaine du business. J’y ai vu une opportunité, avec l’envie sincère de rencontrer des personnes intéressantes, d’échanger avec elles, d’apprendre et de partager. Je me suis dit que ce serait mon école de la vie et me suis lancée sur un coup de tête. Je n’ai jamais arrêté depuis quatre ans. Cela m’a permis de me réinvestir pleinement dans l’entreprise.
Pourquoi l’avoir appelé « Le gratin » ?
Il vient de changer de nom et c’est désormais « le Podcast de Pauline Laigneau », tout simplement parce que c’était plus facile à comprendre pour des non-francophones. D’autant que j’ai des invités internationaux, et que je commence à faire quelques épisodes en anglais. À l’origine, le choix du mot « gratin », c’était d’inviter les meilleurs experts dans leur domaine et d’apprendre de leur parcours, de s’inspirer de ces personnalités, de côtoyer le succès pour inventer le sien. J’aimais bien ce nom assez amusant, un peu pétillant avec l’idée de ne pas se prendre trop au sérieux. Il peut m’arriver d’attendre deux ou trois ans pour qu’un invité valide sa présence, mais je sais être persévérante. Je suis fière car c’est devenu le plus gros podcast « business » en France.
Précisément, quel est l’invité qui vous a le plus marqué ?
Je continue à être émerveillée par la plupart de mes invités qui me permettent d’apprendre et de me développer, mais si je devais en choisir un, ce serait Jacob Abbou, un entrepreneur qui vient hélas de décéder. De confession juive, il a immigré en France à l’âge de 4 ans. Orphelin, il a été placé à la DASS. Il n’avait pas un sou mais a fait fortune en créant « contrôle technique » avec la marque DEKRA en France. Il a ensuite été le fondateur du journal de l’auto- mobile. Il a été mon mentor et m’a toujours suivie, en me donnant des conseils. Il était très pragmatique et encore pétillant, même à l’âge de 75 ans. Habité par le business, il le percevait comme un jeu. Voilà ce que je retiens de ses enseignements : « vis pleinement, amuse-toi dans ton travail, n’ai jamais de regrets et surtout pas de remords ». Il m’a transmis des valeurs de générosité, de partage et d’action.
Au-delà de ces valeurs, y en a-t-il d’autres qui vous animent ? Quels sont vos leviers dans la vie ?
PAULINE LAIGNEAU : Ce qui me donne envie de me lever le matin, ce n’est pas le fait de gagner de l’argent, mais c’est l’impact que je peux avoir sur mon entreprise, mes clients et mes investisseurs. Mais aussi sur les personnes qui écoutent mon podcast. J’ai été très touchée en recevant des messages d’entrepreneurs qui m’ont écrit pour me dire qu’ils s’étaient lancés après l’avoir écouté. C’est gratifiant de se dire que grâce à moi quelqu’un a réussi à se lancer.
Mais entrepreneur, est-ce un métier fait pour tout le monde ?
Je ne vais pas inciter tout le monde à le devenir, car c’est un métier difficile. Et en effet, je ne pense pas que ce soit fait pour tout le monde. Je préfère les ennuis à l’ennui, mais on n’est pas tous fait sur le même moule. Il est important de bien se connaître, et de se dire que finalement, c’est une parenthèse dans une vie, car cette prise de recul permet d’oser se lancer.
En tant qu’entrepreneur, est-on pris au sérieux quand on est une femme ?
Il faut reconnaître que certaines personnes, pas tant dans ma génération que dans la précédente, ne semblent pas habituées à travailler avec des femmes. Il a pu arriver qu’on me prenne pour la secrétaire ou la personne qui apporte le café. Je reçois cela avec un certain plaisir en leur faisant comprendre que je suis leur cliente. C’était encore plus vrai quand j’ai lancé la structure et que je n’avais que 27 ans. Aujourd’hui, j’en ai 39, mais les gens m’en donnent souvent dix de moins. Clairement, il n’est pas évident d’être pris au sérieux quand on est à la fois jeune et femme. Il faut oser s’affirmer.
Y-a-t-il une femme qui vous inspire particulièrement ?
PAULINE LAIGNEAU : Oui, ma maman. Elle m’inspire beaucoup. C’est une créatrice. Elle a réinventé un lieu qui s’appelle le Château du Rivau, en Touraine. Mes parents ont restauré cet endroit, en repensant notamment tous les jardins. Elle ne connaissait rien à cet univers, et vers l’âge de 50 ans, elle a passé son diplôme d’architecte paysagiste et s’est engagée avec passion. Je suis impressionnée. C’est la preuve qu’on peut se relancer à tout âge dans une nou- velle aventure.
C’est quoi le féminisme pour vous ?
Je déteste voir des femmes victimes de préjugés, de comportements inadéquats, de violences. En revanche, je n’aime pas l’extrémisme et le fait de stigmatiser les hommes pour ce qu’ils sont. De ne pas leur laisser leur place. Il y a un équilibre à trouver. Autrement dit, je suis pour un féminisme non pas radical, mais inclusif. Il faut qu’ils soient partie prenante des discussions.
Quelles sont les causes qui vous tiennent à cœur ?
La cause qui me tient à cœur, c’est l’éducation. Je ne suis pas maman, mais j’ai enseigné. J’ai été professeur de littérature, avant de faire un virage à 180 degrés pour créer Gemmyo. J’aime l’idée de développer des collaborateurs.
Quel est votre regard sur les transitions que l’on traverse et les complexités de notre monde ?
Chez Gemmyo, nous ne travaillons qu’avec des fournis- seurs et des ateliers disposant de labels responsables. Il est important que nous soyons tous vigilants, mais quand on regarde ce qui se passe aux États-Unis ou en Chine, on se rend compte de l’ampleur du problème car là-bas, les gens ne semblent pas très préoccupés par ces questions.
Quels sont vos loisirs ?
J’adore lire. Je lis un peu tous les jours, souvent avant de dormir. On trouve toujours le temps de faire ce qu’on aime. J’essaie aussi de faire du sport, notamment de la course à pied. J’ai la chance de vivre dans un environnement très « nature », et j’aime plonger dans des lacs, faire de la randonnée… J’écoute des podcasts aussi. Je commence à avoir enfin un peu plus de temps, car au début, j’ai énormément travaillé. C’est encore le cas, mais j’ai quand même enfin de petits sas de décompression !
“ Quand on a un rêve, il faut être patient et se donner les, moyens de le réaliser ”
Ses essentiels
Le dernier livre qui vous a marqué ? L’art de la victoire, l’autobiographie du fondateur de Nike, Phil Knight
Un lieu dans Paris ?La boutique Gemmyo, 21 rue de Seine dans le 6e, en plein coeur du quartier des antiquaires
Un mantra ? “Either you run the day, or the day runs you”
Un plat et un vin ? Des Linguine à la Puttanesca et un verre de Valpolicella
Une appli que vous utilisez souvent ? Instagram et linkedin sont mes péchés mignons
Un jeu ? Le poker
Un mode de déplacement ? Depuis que je suis sur les bords de mon lac suisse : le bateau !
Un voyage en terre inconnue ? Le Japon pour sa culture et sa gastronomie