#COVID19

Interview exclusive - Geoffroy Roux de Bézieux, Président du MEDEF

    “ "De toutes les doctrines en "-isme", nous n'en retenons qu'une, le pragmatisme" ”

    Temps de lecture 4 minutes

    Le MEDEF représente toutes les entreprises, quels que soient leur taille ou leurs secteurs d’activité (industrie, services, commerce, construction…). Quels sont, selon vous, leurs points de convergence dans une période comme celle que nous traversons ? Comment l’interprofession a-t-elle permis en ces temps troublés un dialogue, et surtout un soutien, entre ces différents secteurs ?

    Le MEDEF représente en effet toutes les entreprises, de tous les secteurs et de toutes les tailles. Pour rappel, l’entreprise type adhérente du MEDEF compte en moyenne 44 salariés. Ce sont toutes les entreprises que nous avons accompagnées car cette crise n’a justement fait aucune distinction. Elle a frappé aveuglément toutes les entreprises, ou presque, en même temps. Ce n’est pas la crise des tulipes de 1636. Ce n’est pas la crise sociale de 1968. Ni celle financière de 2008. Cette fois, c’est l’Etat qui pour de bonnes raisons, a demandé aux entreprises de s’arrêter. C’est la raison pour laquelle le MEDEF s’est mobilisé dès le début de la crise pour les soutenir. Nous avons plaidé pour la création du PGE et du FSE, et nous nous sommes battus pour l’étendre à toutes les entreprises. Nous avons défendu le remboursement intégral du chômage partiel puis nous nous sommes mobilisés pour que l’indemnisation du chômage partiel ne connaisse pas un nouveau tour de vis au 1er juillet. Nous défendons actuellement le recours à l’activité partielle jusqu’en septembre ainsi que le principe d’une activité partielle de longue durée (APLD). Nous avons également obtenu le report des charges fiscales ainsi que de nombreux paiements fiscaux mais aussi la baisse de CFE pour les entreprises les plus touchées par la crise. Nous avons également plaidé pour une réponse massive et coordonnée à l’échelle européenne à travers une déclaration commune le 11 mai avec nos homologues allemand et italien.

    De manière concrète, vous avez établi un plan de relance le 28 mai dernier assorti de près de 50 propositions pour une « Prise de Confiance » en 3 axes : « Reconstruire, Refonder et Protéger ». Quelles sont pour vous les principales étapes ?

    Durant cette crise, le pays n’a pas créé de richesse, il a créé de la monnaie. Cette crise sanitaire l’exigeait, l’Etat était dans son rôle. Mais désormais il est temps de relancer la machine. Vite et fort. Et le MEDEF s’y attèle. De toutes les doctrines en « -isme » nous n’en retenons qu’une, le pragmatisme. Et c’est avec cette conviction que nous avons bâti notre plan de relance, en 4 temps. Il faut relancer la consommation des français, une consommation locale et verte. Dans le même temps, il est nécessaire de continuer la politique de l’offre et de baisser massivement les impôts de production. Il en va de la compétitivité de nos entreprises. Ensuite, il faut s’attaquer au chantier de l’harmonisation fiscale à l’intérieur de l’Europe pour que les règles du jeu soient les mêmes pour tous, particulièrement en cette période de crise. Enfin, il y a l’emploi des jeunes et la formation. Car après la crise sanitaire, après la crise économique, il n’y aurait rien de pire qu’une crise sociale. C’est pourquoi nous devons tout faire pour que les jeunes diplômés qui arrivent sur le marché du travail ne soient pas une génération sacrifiée. Nous avons proposé en ce sens une exonération de charges pendant douze mois sur les premières embauches en CDI et nous avons été entendus concernant les aides en faveur de l’apprentissage.

    Quel est, selon vous, le rôle nouveau des MEDEF territoriaux comme le MEDEF Paris, pour aider les entreprises dans ce contexte extrême ?

    Les MEDEF territoriaux ont joué un rôle clef dans cette crise, en étant au plus proche des réalités du terrain et en réaffirmant leur rôle d’interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics. Face à cette crise, les MT ont plus que jamais accompagné les chefs d’entreprise dans une période particulièrement difficile, rompant ainsi avec l’isolement et le manque d’information, et je tiens à les en remercier ! Nous avons ainsi assisté à de très belles initiatives de la part des MEDEF territoriaux et des MEDEF régionaux à l’image d’achats groupés et de distribution de masques, de mises en place de cellules psychologiques ou encore d’outils d’accompagnement des chefs d’entreprise. Je tiens d’ailleurs à saluer l’initiative du MEDEF Paris qui a mis en place un guide pratique avec l’AFNOR, à destination des entreprises parisiennes mais également déclinable dans les territoires.

    Le monde du travail a dû s’adapter. Dans cette crise, que pensez-vous plus précisément du cas de Paris ? Capitale mondiale, dont l’activité touristique qui pèse lourd dans son économie a été arrêtée et où le recours au télétravail a été un levier important pour continuer l’activité en période de confinement et éviter l’engorgement dans les transports et la propagation du virus en phase de déconfinement.

    L’entrepreneur aime anticiper, prévoir, se projeter. Avec cette crise ça n’a pas été possible. Mais il a su comme toujours s’adapter. Le télétravail en est d’ailleurs un exemple, en ce qu’il a permis à de nombreuses métropoles comme Paris de continuer l’activité en « mode dégradé ». Pour autant, il n’est pas l’alpha et l’oméga, d’autant qu’il ne remplacera jamais totalement les échanges en physique et surtout qu’on ne peut y avoir recours dans tous les secteurs d’activité. Cette crise a remis en question l’organisation même de l’économie française, une économie extrêmement centralisée et concentrée dans quelques métropoles. L’an dernier, plus de 80% des emplois en France ont été créés dans une métropole et je ne serais pas surpris si cette crise initiait un processus inverse, celui de la démétropolisation. Sur le cas particulier de Paris, vous l’avez rappelé, cette crise a mis un coup d’arrêt au secteur touristique, filière majeure sur le plan économique mais aussi intimement liée à notre art de vivre. C’est la raison pour laquelle le MEDEF s’est très vite engagé à travers une initiative forte, Destination France. Et nous nous sommes battus pour que les restaurants puissent accueillir des clients à l’intérieur dès le 15 juin. Il est plus que temps que les touristes reviennent à Paris.

    Vous avez doté le MEDEF d’une raison d’être, Agir ensemble pour une croissance responsable, qui prend encore plus de sens dans la période actuelle. Pensez-vous que cette crise pourra permettre d’accélérer la transition environnementale mais aussi plus largement tout type de transformation des entreprises, comme par exemple celle numérique, notamment des TPE/PME ?

    Sur la transition écologique, toutes les entreprises ne sont pas sur un pied d’égalité. Il y a celles qui peuvent aller plus vite et plus loin car c’est leur business model et celles pour qui ce n’est pas le cas. Dans les deux cas, il demeure un constat universel : produire décarboné, ça coûte plus cher. Pour ne pas que ce prix place nos entreprises dans une situation de concurrence déloyale, il faut absolument mettre en place un mécanisme d’ajustement carbone qui prenne en compte les différences de carbonation en Europe. Sans cela, ce sera la double peine : la planète ne sera pas sauvée et les emplois, eux, seront détruits. Il faut donc aller résolument vers une croissance responsable qui intégrera les enjeux environnementaux. Et de manière certaine, les technologies permettront d’atteindre cet objectif, avec une place centrale pour la transformation numérique.

    Beaucoup de chiffres alarmants sont avancés : récession de 11% attendue en 2020, 52,2 milliards d’euros de déficit en prévision pour la Sécurité sociale en 2020, 120 milliards de perte, 20 à 30% des entreprises qui vont mettre la clé sous la porte… Quelle note positive retiendriez-vous de cette crise pour les entreprises et le « monde d’après » ?

    Je n’aime pas particulièrement l’expression de « monde d’après » en ce qu’elle tend à faire table rase du passé et met de côté le véritable défi qui nous attend, celui du « monde de maintenant ». Il va falloir apprendre à vivre avec les gestes barrières, la distanciation sociale, autant de défis à relever dès aujourd’hui pour nos entreprises. Si je devais trouver du positif dans cette crise, je dirais qu’elle a permis de mettre en lumière le rôle central des entreprises dans le fonctionnement du pays. On leur a demandé de s’arrêter du jour au lendemain, et on voit bien le résultat. Cette crise a aussi été l’occasion de rappeler l’importance d’une Europe unie. Sans l’Europe, et sans l’euro, nous aurions connu une dévaluation sans précédent et la situation aurait été encore plus dramatique. Enfin il me semble que le dialogue social est sorti renforcé de cette crise, en attestent es 5 500 accords d’entreprises signés durant la crise. La santé de nos salariés a été et demeure une priorité.

    En quoi le MEDEF de l’après Covid-19 sera différent de celui d’avant ?

    Cette crise a été une leçon d’humilité pour nous tous. Elle a souligné de lourds handicaps structurels à l’image de la fragilité de notre système sanitaire, le niveau record des impôts de production qui a découragé les entreprises à conserver leur production en France et a conduit à des pertes de souveraineté dans des filières clés, ou encore le poids de la centralisation dans les décisions publiques. Le télétravail a, quant à lui, accéléré l’utilisation des outils numériques à l’image des réunions à distance qui ont démontré qu’il était possible de travailler ensemble autrement. Ce sont là autant de sujets sur lesquels le MEDEF était engagé avant la crise et dont le MEDEF de l’après Covid-19 se saisira également, avec force et détermination.

     

    Propos recueillis par Charlotte d’Aleman et Nathalie Chakra