Culture

HISTOIRES CAPITALES - Musée de la pharmacie : les trésors d'un lieu méconnu

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Au cœur du 8ème arrondissement de Paris, plusieurs hôtels particuliers bordent le Parc Monceau. Parmi eux, les numéros 4 et 6 de l’avenue Ruysdaël. Les deux bâtiments du XIXe siècle abritent l’Ordre national des pharmaciens et un musée consacré à la pratique pharmaceutique. Un lieu chargé d’histoire …

Os de cœur de cerf, cloportes séchés ou encore arsenic et cyanure : le musée de la Pharmacie est un cabinet de curiosités qui regorge de trésors insolites. Dans l’entrée, deux immenses étagères sont remplies de près de 800 pots en verre soufflé contenant des drogues d’une autre époque. Produits végétaux, animaux et minéraux se côtoient dans cette collection du droguier Menier. Un nom bien plus connu pour la chocolaterie fondée en 1816 par Jean Antoine Brutus Menier.

Des médicaments fabriqués à base de chocolat
Si confiseries et médicaments ne vont pas forcément ensemble, leur destin est pourtant intimement lié dans cette grande famille d’industriels français du XIXe siècle. « Jean Antoine Brutus Menier était à l’origine droguiste. C’est- à-dire qu’il fournissait les matières premières aux pharmaciens pour qu’ils puissent préparer leurs médicaments. Mais à l’âge de 44 ans, il décide de reprendre des études et passe le diplôme de pharmacien », éclaire Camille Jolin, responsable des collections. Grâce à son usine, il fabriquait des médicaments à base de chocolat. « Cette association peut nous paraître étrange aujourd’hui mais à l’époque c’était assez normal. Le chocolat était utilisé pour ses vertus fortifiantes et comme excipient. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle qu’il commence à devenir un aliment de plaisir », explique-t-elle. La deuxième génération Menier reprend les rênes de l’entreprise mais abandonne les produits pharmaceutiques pour se consacrer entièrement à la fabrication du chocolat en 1867.

Une histoire de famille.
C’est totalement par hasard que l’Ordre national des pharmaciens s’installe en 1952 puis en 1977 dans ces deux bâtiments. Des années plus tôt, le n°4 de la rue Ruysdaël a été racheté en 1879 par Gaston Menier, petit-fils de Jean Antoine Brutus Menier. Il y établit sa résidence principale après son mariage et commande d’importants travaux à l’architecte de la famille, Henri Parent. Un pavillon au style insolite - « normando-mauresque » - voit ainsi le jour dans la cour. Les colombages y côtoient des décors orientaux. « C’était surtout un lieu de vie pour lui et le bâtiment n’avait rien à voir avec la pharmacie. Par exemple, au deuxième étage, il aménage une salle pour jouer des pièces de théâtre et dans sa salle à manger, il installe un petit train électrique qui permet de passer les plats de convive en convive, » décrit Camille Jolin. Le bâtiment est vendu en 1892 après le décès de sa femme, puis les propriétaires privés s’enchaînent jusqu’à ce que l’Ordre national des pharmaciens investisse les lieux.

“ Près de 21 000 objets du XVIe siècle à nos jours exposés et entreposés. ”

Mémoire vivante de la pharmacie.
Une fois accueilli par cette myriade de bocaux dans l’entrée, le visiteur peut s’attarder sur quatre machines, qui servaient à fabriquer des comprimés, des cachets ou encore mélanger les poudres issues des différents ingrédients. Malgré leur apparence désuète, certaines étaient encore utilisées dans les années 1970. « Cette partie-là nous permet d’expliquer aux visiteurs que la pharmacie ne se limite pas à l’officine mais que c’est également une industrie. C’est d’ailleurs au cours du XIXe siècle que l’on va dissocier de plus en plus la fabrication des médicaments et leur délivrance », relève Camille Jolin. Un peu plus loin, on plonge un peu plus encore dans l’histoire de la pharmacie. Après être passé devant une devanture d’une officine d’apothicaire du XVIIIe siècle, composée de bois et de verre, on découvre en effet l’intérieur de la boutique d’époque aménagée avec de grands meubles en bois. « Ils proviennent de la pharmacie Jules Stahl à Barr près de Strasbourg créée en 1646 et reconstruite en 1705. C’est le dernier pharmacien titulaire qui a fait don de ces boiseries en 2001 », retrace Camille Jolin. La partie supérieure des meubles est composée de plusieurs étagères où trônent des bocaux en verre et en porcelaine : « Même si ce ne sont plus les mêmes structures et les mêmes contenants, les meubles dans les pharmacies sont un peu disposés de la même manière : des étagères pour présenter les boîtes de médicaments et des tiroirs pour stocker. »

Dorer la pilule.
L’expression « dorer la pilule » vient du domaine pharmaceutique. « Dorer la pilule » est une expression très imagée mais qui puise ses origines dans le milieu de la pharmacie. Dès le XVIIe siècle, les apothicaires veulent faciliter l’absorption des médicaments pour les patients en atténuant leur goût et leur texture souvent collante. Ils ont alors l’idée d’enrober les pilules avec une fine couche de feuille d’or ou d’argent. À cette époque, l’expression désigne alors le fait d’enjoliver les choses. Ce n’est qu’au XXe siècle que l’ajout du pronom « se » devant l’expression lui confère son sens actuel, à savoir « se prélasser au soleil », « bronzer sur une plage ou au bord de la piscine ».

“ La collection comporte également de nombreux livres, estampes et gravures dont une grande partie est conservée en réserve ”

Une volonté de s'ouvrir au grand public.
Moules à suppositoires, seringues ou encore mortiers et pilons : près de 21 000 objets - du XVIe siècle à nos jours - sont exposés et entreposés dans le bâtiment. La première partie de la collection date de 1952 puis la seconde arrive en 1967. Le reste provient de dons et d’acquisitions réalisés au fil des années. Le tout est pérennisé par un fonds de dotation créé en 2014 par l’Ordre national des pharmaciens. La collection comporte également de nombreux livres, estampes et gravures dont une grande partie est conservée en réserve. « Le fonds d’ouvrages n’est pas, à ce jour, entièrement répertorié mais tout ce qui l’est est accessible via notre base de données en ligne. Régulièrement des chercheurs viennent consulter les œuvres pour leurs thèses par exemple », assure Camille Jolin. Le musée, ouvert depuis 2010, n’est cependant pas réservé aux pharmaciens et aux experts de ce domaine. Depuis quelques années, le lieu souhaite s’ouvrir de plus en plus au grand public. Bien que le musée propose uniquement des visites gratuites sur rendez-vous, du lundi au jeudi de 9h à 18h, les réservations se multiplient, popularisées notamment par son titre de musée « le plus secret » de Paris. En 2023, plus de 2 800 personnes ont déjà passé les portes du lieu, dont près de 600 pendant les journées du patrimoine. Un succès que le musée espère de longue durée.

L'ordre national des pharmaciens : une institution aux multiples fonctions.
Si les deux hôtels particuliers regorgent de trésors issus de l’histoire de la pharmacie, ils accueillent également près d’une centaine de salariés de l’Ordre national des pharmaciens.
Fondé en 1945, cet organisme professionnel regroupe tous les pharmaciens exerçant leur métier en France, soit près de 74 000 personnes travaillant dans diverses branches de la pharmacie. « Quand on parle des pharmaciens, on pense uniquement à ceux qui sont derrière le comptoir, mais c’est bien plus que ça. Il y a aussi des pharmaciens hospitaliers, industriels, biologistes ou encore grossistes », énumère Camille Jolin. Grâce aux efforts combinés des salariés et des 700 élus professionnels, l’institution travaille sur des missions très variées mais toujours dans l’intérêt du secteur. « Ils ont pour but de défendre le métier et les enjeux du métier de pharmacien tout en encadrant la profession. Ils travaillent en lien étroit avec les pouvoirs publics et notamment le ministère de la Santé.
Par exemple, ce sont eux qui, pendant la crise de la Covid-19, ont poussé pour que les pharmaciens puissent administrer le vaccin. Ils préservent l’indépendance et l’honneur de la profession. » L’institution veille également aux compétences des pharmaciens, un enjeu majeur dans le domaine de la santé. « Entre le moment où l’on est diplômé et celui où l’on part à la retraite, il peut y avoir beaucoup d’évolutions, le but est donc de vérifier que tout le monde est à jour grâce à un système de certifications périodiques des pharmaciens. Il faut aussi s’assurer que les professionnels suivent le code de déontologie », observe Camille Jolin. L’Ordre national des pharmaciens possède également une compétence disciplinaire et peut sanctionner les professionnels. Il peut aussi être saisi lors d’un différend entre un patient et un pharmacien ou entre deux professionnels.