Culture

Histoires capitales - L’ambitieuse rénovation du musée de Cluny

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Situé au cœur du Quartier latin, le musée national du Moyen Âge abrite, dans un écrin de charme, l’une des plus importantes collections d’œuvres d’art de l’époque médiévale. Entretien avec Séverine Lepape, directrice de l’établissement.

 

De quand date la construction du musée et quelle en est l’ambition ?

Le musée est un formidable collage de bâtiments de plusieurs époques. Le frigidarium est la pièce la mieux conservée (sachant qu’elle date du 1er siècle après JC) et la plus impres- sionnante, avec une voûte d’arêtes culminant à 14 mètres du sol. Dans la Rome antique, le frigidarium était la partie des thermes où l’on pouvait prendre des bains d’eau froide. Dans le même ensemble, on peut visiter l’hôtel médiéval construit sous l’abbatiat de Jacques d’Amboise, abbé de Cluny, pour disposer d’un pied à terre à Paris. L’ensemble du site est devenu un musée en 1843 et a ouvert le 17 mars 1844 afin de présenter les plus beaux chefs d’œuvres de la création française de l’Antiquité au XIXe siècle.

Parmi les œuvres phare du musée figurent notamment la Dame à la licorne, pourquoi cette œuvre est-elle particulièrement connue ?

Il s’agit d’une rare tenture de six tapisseries de sujet profane, montrant une dame entourée d’une licorne et d’un lion. Sa beauté, son excellent état de conservation, ainsi que le mys- tère qui réside dans son interprétation l’ont rendu célèbre depuis sa découverte dans les années 1840, avant qu’elle ne soit achetée par le musée de Cluny en 1882.

Le musée est abrité dans un splendide hôtel particulier, quelle en est la spécificité ?

Il s’agit de la seule construction privée datant de la fin du Moyen Âge subsistant à Paris, avec l’hôtel de Sens (abritant aujourd’hui la Bibliothèque Forney. Il se singularise par l’existence d’une chapelle de style gothique flamboyant, dont il n’existe que peu d’éléments comparables en France.

 

De véritables trésors ont été découverts et figurent désormais au sein de la collection du musée de Cluny. Pouvez- vous nous en dire quelques mots ?

Nous pouvons citer les 21 têtes des rois de Juda provenant de la façade occidentale de la cathédrale Notre-Dame, découvert avec près de 300 autres fragments sculptés provenant de l’édifice, en 1977, dans le sous-sol de l’hôtel Moreau, alors Banque française du commerce extérieure, lors de travaux. Ce fut une découverte unique et complètement inattendue. On savait que les statues des rois de Juda avaient été démolies lors de la Révolution française, car elles portaient des signes de royauté, mais on ignorait que ces têtes avaient été préservées pour servir de remblais à la construction d’un hôtel particulier.

Le chantier de rénovation a été particuliè- rement conséquent avec un budget de plus de 23 millions d’euros. En quoi consistent les principales réalisations ?

Il a consisté en une mise en accessibilité de l’ensemble du site, qui comptait 28 ruptures de niveau, avec la mise en place d’ascenseurs et de monte personnes. Une nouvelle entrée, vaste et permettant d’accueillir toutes les fonctionnalités nécessaires pour un équipement culturel de ce niveau a été construite. Enfin, à partir de 2019, des travaux ont été engagés pour rénover techniquement l’intérieur du bâtiment (fluides, électricité, peintures, plafonds, sols) et pour réorganiser le parcours du visiteur selon une nouvelle muséographie. Cette rénovation a été confiée à Bernard Desmoulin, Paul Bavard et Adrien Gardère. Le décrochage pour travaux puis la réinstallation des six tapisseries de la Dame à la Licorne ont constitué un moment fort de cette rénovation, tout comme la mise en place de sculptures lourdes et compliquées à installer. Je garde un vif souvenir des premières sculptures réinstallées, deux Christ et une Sainte Femme en bois romans, que nous avons vu hissées dans les niches de la salle numéro 3, un peu comme s’il s’agissait d’êtres vivants que l’on portait avec la plus grande délicatesse.

La visite se déroule en plusieurs étapes. Comment a été pensée la scénographie ?

Il y a en réalité 22 salles aujourd’hui. La visite se déroule chronologiquement, en partant de l’Antiquité jusqu’aux années 1520, avec quelques salles thématiques présentant la vie quotidienne au Moyen Âge. La scénographie a été conçue de sorte que dans chaque salle, les œuvres les plus insignes soient mises en valeur et que toutes les techniques de création soient présentées. Les matériaux choisis pour la présentation (vitrines, podiums), apportent beaucoup de clarté et de luminosité aux œuvres, qui ont été présentées de manière accessible aux visiteurs.

“ Tablettes de médiation mais aussi visites théâtralisées, dansées ou chantées témoignent d’une réel volonté d’élargir les publics. ”

 

L’accessibilité est en effet un point essentiel. Précisément, quels outils de médiation avez-vous déployés ?

Nous nous adressons à tous les publics, individuels, connaisseurs, néophytes, familles, seniors mais une attention toute particulière est portée aux jeunes publics, notre public de demain. Nous avons donc mis en place spécialement pour eux un compagnon de visite, sorte de petite tablette qui contient un parcours du musée, avec une déambulation proposée par le magicien Eric Antoine. Nous avons développé grâce à la Fondation Gandur pour la jeunesse des visites dédiées aux 12-15 ans, théâtralisées, dansées, chantées et également, sur demande, une tablette de médiation pour les publics éloignés de la culture qui offre une médiation originale de la Dame à la Licorne.

Et le résultat est au rendez vous ! Je reste émerveillée de voir que le musée exerce un attrait puissant sur ce jeune public. Un matin, je me trouvais dans le hall d’accueil et j’ai vu arriver une classe d’enfants. Un petit garçon d’environ 6 ans s’est écrié : « mais qu’est-ce que ce lieu, c’est un château ? » Sans le savoir, il posait la bonne question quant à l’identité du lieu, complexe car il couvre près de 2 000 ans d’histoire. Je suis fascinée qu’il ait pu percevoir cette richesse historique et patrimoniale. Cela me donne espoir quant à notre capacité à transmettre aux jeunes générations l’importance du Moyen Âge.

Il existe une société des amis du musée de Cluny, quelles en sont les missions ?

La Société des Amis du musée de Cluny a pour but d’aider l’établissement dans ses actions (acquisitions, travaux, confé- rences, programmation culturelle) et de diffuser la connais- sance ayant trait au Moyen Âge. Elle nous a soutenus par de nombreuses actions, la dernière en date étant une large souscription lancée sur internet pour nous aider à acquérir une œuvre exceptionnelle, un Christ en ivoire de Giovanni Pisano, sculpteur toscan très important pour l’Italie des années 1270-1320.

En quoi ce musée est-il un lieu inspirant ?

Un musée est un lieu de connaissance. Les œuvres sont présentées de manière raisonnée, selon une perspective et un message qui visent à enrichir les visiteurs. C’est aussi un lieu de délectation car nous présentons des objets fascinants. Enfin, il se passe toujours quelque chose dans un musée, grâce à la programmation culturelle qui fait intervenir des artistes ou des chercheurs ou à des visites-conférences qui expliquent et réunissent des femmes et des hommes autour de la joie de découvrir, moteur de l’être humain.