Dossier - Tempête sur l'hôtellerie-restauration, on partage l'addition ? 2/4
Les JO : un réel Eldorado ?
S’il vend du café en BtoB, Luc Prouvost est aussi positionné sur le BtoC. Il détient un coffee shop rue Richer (Paris IX), et un autre, baptisé « La crème », situé rue Paul Bert, aux Puces de Saint-Ouen. Il a acquis ce lieu précisément dans la perspective des JO, même s’il est conscient que l’onde de choc risque d’être de courte durée. Comme lui, de nombreux acteurs dans le secteur attendent beaucoup de cet événement, même si, à 500 jours du début des festivités, les questionnements vont bon train. Christelle Grisoni du Groupe Bertrand s’interroge sur les enjeux de circulation, de logistique et d’approvisionnement : « les livraisons auront-elle lieu la nuit ? Comment va-t-on les réceptionner ? Nous sommes prêts à nous mettre autour de la table pour travailler, mais nous manquons d’informations pour nous mettre en ordre de marche ». Jean-Pierre Trevisan du Lutetia espère lui aussi que les choses vont se clarifier rapidement, d’autant que son établissement est déjà rempli à hauteur de 85 % pour cette période. « La sécurité et la propreté sont des enjeux très importants », observe-t-il. Parce qu’il n’est pas envisageable qu’elles laissent à désirer aux alentours de l’hôtel, il travaille déjà en étroite collaboration avec la mairie du VIème.
Un enjeu d’attractivité
« À l’aube des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, il s’agit de renforcer l’attractivité de notre destination à travers une démarche d’hospitalité toujours plus responsable et durable », souligne Corinne Ménégaux, à la tête de l’office de tourisme de Paris. À ses yeux, c’est un levier pour redonner du sens à un projet commun : « Nous sommes en ordre de marche pour gérer l’afflux de touristes et travaillons beaucoup sur le maillage territorial, afin de multiplier les points d’accueil. Notre site Internet et nos réseaux sociaux seront animés au quotidien pour mettre en lumière l’offre touristique et proposer aux visiteurs de nouvelles expériences, hors des sentiers battus (lieux hybrides et durables, vie nocturne…) ». Elle a étudié avec attention la façon dont les autres villes se sont organisées, notamment pour les Jeux de Londres
en 2012. Cette destination présente des similitudes avec Paris. Nous avons identifié des points d’attention, comme la disponibilité des hébergements, l’offre de transport et l’accessibilité. C‘est pourquoi, afin d’aider les touristes une fois sur place, « Paris je t’aime » va les encourager à découvrir l’offre de transports élargie afin qu’ils puissent découvrir la ville autrement : vélos et vélos électriques, vélos-taxis, bus amphibies, scooters électriques en libre-service… Enfin, ils pourront s’appuyer sur des outils comme le Paris Pass Lib (un city pass officiel, dématérialisé et 100 % personnalisable) ou la carte Paris City. Enfin, un nouveau point d’accueil touristique, « Spot 24 », ouvrira dès l’été à quelques pas de la Tour Eiffel. Ce sera un lieu d’exposition immersif et étonnant dont la programmation mettra à l’honneur les cultures urbaines et les nouvelles disciplines olympiques (comme le breaking ou le skateboard).
“ Le Graal est désormais de garder les talents, d’en attirer d’autres, et de les fidéliser. ”
Recruter, former et fidéliser : le trio gagnant
« On ne peut former les gens au savoir-être. C’est pourquoi nous sélectionnons nos équipes sur leur gentillesse et leur bonne éducation, puis on les accompagne ensuite sur la technicité », souligne quant à lui Jean-Pierre Trevisan, directeur général du Lutetia. Pour les attirer et les retenir, il propose un suivi équitable des heures de travail, des espaces pour les pauses et de la flexibilité concernant les uniformes à certains postes.
« Je déjeune avec eux, sans filtre et sans intermédiaire. Nous fêtons des anniversaires, on organise des journées à thème… ». Jean- Claude Wietzel, general manager du Four Seasons Hotel, confirme qu’il est indispensable d’apporter un soin particulier au recrutement : « nous prenons notre temps pour être sûrs d’embaucher les bonnes personnes, et passons beaucoup de temps à les former. Avec l’équipe en charge des ressources humaines, nous avons mené une réflexion pour que les heures de travail soient raisonnables, quitte à modifier nos horaires opérationnels. Avant la pandémie nous ouvrions notre restaurant trois étoiles midi et soir. Puis nous avons pris la décision de n’ouvrir que pour le dîner. Ce devait être pour une période courte, mais nous nous sommes rendu compte que cela fonctionnait mieux, car nous avions créé une rareté d’une part, et que le personnel gagnait en qualité de vie d’autre part, si bien que nous avions moins de turnover ».
L’attractivité de Paris plus fort que tout ?
Après les heures sombres de la pandémie, la fréquentation est repartie avec une vraie envie des Français de ressortir. Ils continuent d’aller au restaurant, malgré l’inflation, et les plaisirs de la table ne sont pas les pre- miers qu’ils veulent abandonner en cas d’arbitrage. Les tickets moyens ont explosé, d’autant que les touristes sont revenus. Cet « appétit » est traduit durant les deux premiers mois de 2023 par une hausse de 29 % du chiffre d’affaires de la restauration commerciale par rapport à la même période l’année précédente. Certes l’épisode du mois de mars 2023 caractérisé par la grogne sociale, les poubelles jonchant les rues, les métros à l’arrêt… à terriblement impacté l’image de la capitale. L’embellie peut se prolonger, sous réserve de ne pas rester assis sur une culture de la rente. Certains affirment que Paris restera toujours Paris, la ville des amoureux et des grandes brasseries. Tant pis si le sourire n’est pas au rendez-vous! Sauf que… rien n’est moins sûr. « C’est d’ailleurs cette fausse perception de confort qui a conduit les Frères Blancs et le groupe Flo, que nous avons rachetés respectivement en 2016 et 2017, aux difficultés qu’ils ont connues. Ils avaient tout misé sur le tourisme, mais les attentats ont refroidi la clientèle étrangère. Paris ne doit pas être un “attrape-touriste”. On ne peut faire n’importe quoi en termes de prix et de service », défend Christelle Grisoni. Tous les acteurs du secteur ont compris l’importance d’équilibrer la clientèle fidèle et les touristes de passage.
3 questions à Corinne Menegaux, à la tête de l'Office du Tourisme
Comment évolue le secteur et quel est le profil des touristes ?
En termes de fréquentation, nous sommes revenus à des niveaux presque meilleurs qu’en 2019, avec des paniers moyens qui ont tendance à augmenter. La crise a enraciné des comportements qui vont dans le sens d’une plus grande sobriété. Le segment du luxe se porte bien. En revanche, les établissements milieu de gamme sont insuffisamment accompagnés. Certains acteurs mettent la clé sous la porte. Les Américains sont très présents avec un pouvoir d’achat incroyable grâce au cours du dollar. La clientèle du Moyen-Orient est revenue, mais les Chinois, pas encore. En revanche, nous avons quelques Japonais et Coréens. Les clients sont plus exigeants. Ils sont prêts à payer, mais veulent le service qui va avec.
Comment accompagnez- vous le rayonnement de la capitale ?
Nous produisons des contenus sur notre site, parisjetaime.com, afin de promouvoir des événements comme Vinexpo, ou encore le concours du meilleur sommelier du monde. Nous invitons des journalistes étrangers et sommes actifs sur nos réseaux sociaux. Nous avons créé l’opération « ParisLocal » pour répondre à une tendance forte du marché sur les circuits courts, avec des journées portes ouvertes pour valoriser des artisans, des fermes urbaines, des distilleries parisiennes, des restaurateurs…
Pour l’heure, Paris continue de damer le pion à d’autres capitales. Les grèves, les poubelles à l’air, le climat social… ne sont-ils pas des menaces ?
Paris bénéficie d’une image incroyable et nous avons une réelle diversité d’offres.
Il est vrai que la situation est compliquée, mais les mouvements sociaux existent partout dans le monde. Ce qui est souvent décrié en revanche, c’est le manque
de sourire. C’est pourquoi nous avons créé un manifeste de l’hospitalité, avec une charte d’accueil des grands événements qui réunit un collectif d’acteurs parisiens. Un comité stratégique est ainsi né, sous l’égide de la ville de Paris et de la Chambre de commerce et d’industrie de la région, afin de s’engager sur un certain nombre de valeurs à partager. L’accueil et le respect font partie de notre héritage.