Grand Paris

DOSSIER : Métro, boulot, dodo : à quoi rêve la capitale ? 1/3

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Qui sera le prochain baron Haussmann ? Que sont devenus les ambitieux projets de développement de la capitale ? Paris est-elle encore en mesure de se transformer ? À l’aube du vote du prochain Plan Local d’Urbanisme Bioclimatique (PLU) le risque de voir s’appauvrir encore d’avantage les initiatives n’a jamais été aussi grand. Pourtant les entreprises de la capitale se sont activement engagées dans la croissance durable. Toutes partagent l’idée que croissance durable, responsabilité sociale, engagement environnemental et transformation digitale sont les facettes désormais indissociables du progrès.

Quel est le modèle de la ville idéale ? Nul doute, chacun rêve de verdure et de calme. Mais, avant tout, les citadins veulent pouvoir vivre, se soigner, se former et bien entendu, travailler à proximité de leur domicile. Les Parisiens veulent des commerces, des écoles, des établissements de soin, des infrastructures de loisirs et de détente, des moyens de transport sans avoir à parcourir de longues distances. Après des décennies de rêve de pavillons en banlieue, qui a vu la ville s’étendre de plus en plus, c’est désormais la densité qui devient gage de fluidité.

Concilier économie et environnement

C’est un fait : les emplois à forte valeur ajoutée sont majori- tairement situés dans des grands centres urbains. Non seulement ils attirent les talents, mais ils contribuent largement au développement économique du pays. Cela ne s’oppose en rien à l’attrait des campagnes et au rôle essentiel qu’elles jouent dans l’économie. Les deux se complètent. D’où l’importance de concilier économie et éco-responsabilité. À cet égard, le projet de PLU bioclimatique de la ville de Paris –qui sera discuté au conseil de Paris fin mars et devrait être appliqué à compter de 2024– mérite un examen approfondi. En effet, il prévoit d’intégrer 40 % de logements publics pour 2035 (30 % de logement social et 10 % de logement intermédiaire) dans toute nouvelle construction, y compris les bureaux. Cependant la plupart des candidats locataires qui sont éligibles aux logements sociaux ne sont pas nécessairement ceux qui travaillent dans la capitale. Tandis que des actifs aux revenus modestes (primo accédants, professions de service, commerce, hospitalité etc.) travaillant dans Paris intra-muros peinent à se loger compte tenu des montants élevés des loyers. Enfin, le PLU envisage la mise en place d’un « Urbascore », dont on ne voudrait pas qu’il complexifie encore davantage la lecture et l’application de dispositions réglementaires existantes.

 

                                                         Les 10 propositions du MEDEF Paris

« Le PLU bioclimatique est un document structurant pour ce que deviendra la capitale de la France à l’horizon 2040. Nos adhérents sont déjà largement engagés dans la transition environnementale. Dirigeants et collaborateurs des entreprises parisiennes vivent et travaillent au quotidien dans une ville qu’ils aiment et dont ils se revendiquent fièrement. Nous entretenons un dialogue fécond et constant avec les élus de la capitale ; notre rôle est de leur partager le point de vue de nos mandants. Leurs craintes, leurs besoins, leurs propositions aussi. », explique Charles Znaty, Président du MEDEF Paris. Parce que ce PLU a des impacts majeurs sur l’implantation  des entreprises et leurs projets de développement, le MEDEF Paris a soumis à la maire de Paris, Anne Hidalgo, dix propositions pour concilier économie et urbanisme. L’objectif ? Garantir le développement économique de la capitale. Plus d’1,8 mil- lion de personnes y travaillent au quotidien, d’où l’intérêt de réfléchir à leur bien-être. À l’heure actuelle, on compte 220 000 logements sociaux dans la capitale versus 23 000 logements intermédiaires. C’est insuffisant. C’est pourquoi le MEDEF Paris propose de créer le « Grand Paris du Logement » pour penser des solutions avec les communes limitrophes, parce que les gens se déplacent au-delà des limites des 20 arrondissements. Autre point de discussion : celui des espaces verts. Là où la ville souhaite imposer à tout nouveau projet de rénovation ou de construction une obligation de 40% de pleine terre à la parcelle, le MEDEF alerte sur le fait que ce ne sera pas possible partout. Il y aura vraisemblablement toute une série de dérogations, si bien que ces orientations semblent peu viables.

Par ailleurs, le MEDEF recommande de ne pas délocaliser l’offre de soins en périphérie de la ville et notamment recommande d’éviter que l’hôpital Bichat soit déplacé aux portes de Paris. « Il est essentiel de prêter une attention redou- blée à ce dont les entreprises et leurs collaborateurs ont besoin ; de défendre un mix en termes d’usages ; concilier bien-être des Parisiens, progrès économique et social et transition environnementale », poursuit Charles Znaty. Autrement dit, les logements sociaux et les espaces verts sont une bonne chose, mais pas au prix de la destruction de valeur et d’emplois dont le pays tout entier a besoin.

Enfin, concernant les dark stores, l’organisation patronale et l’équipe municipale ont des positions assez convergentes, tous souhaitent que l’activité économique et la concurrence s’exerce dans un cadre légal qui garantit à tout le monde les mêmes droits.

De nouvelles contraintes pour les promoteurs

Les enjeux en matière de décarbonation et d’immobilier durable ont considérablement impacté toute une série d’acteurs. À commencer par les promoteurs.

Le secteur est en pleine transformation

Dans un contexte climatique et énergétique en tension où l’inflation généralisée, et où la hausse des taux d’intérêt se conjugue avec l’enchérissement des prix du foncier et d’envolée des prix des matériaux, c’est tout un écosystème qui avance à tâtons. « Les crises que nous avons connues ces dernières années ont fait évoluer notre secteur et notre façon de concevoir l’immobilier. Elles nous poussent à agir plus vite, à aller plus loin, à accélérer certains changements et à réfléchir plus concrètement à notre rôle en tant qu’entreprise », rappelle Olivier Wignolle, directeur général d’Icade. Et de poursuivre : «Avec le Covid, nous avons été amenés à développer de nouvelles offres afin de répondre aux aspirations émergentes des Français qui n’envisageaient plus leur logement ou leur bureau de la même manière. Mais le grand changement est lié à une meilleure prise en compte du réchauffement climatique face auquel notre secteur doit assumer une part importante de responsabilité (25 % des émissions de GES en France). Nous en avons fait une priorité absolue avec des objectifs alignés sur une trajectoire 1,5°C de l’Accord de Paris avec une ambition Net-Zéro en 2050 ». Reste à savoir comment atteindre cet objectif de lutte contre le réchauffement climatique ? « Il convient d’envisager l’immobilier autrement : plus durable, plus économe, plus abordable, plus inclusif. De construire et de réhabiliter différemment, avec des matériaux et des techniques à faible empreinte carbone tout en intégrant systématiquement la nature dans les projets. Nous avançons sur tous ces fronts avec détermination et conviction. Les contraintes, qu’elles soient environnementales ou règlementaires, imposées ou choisies, nous forcent à être toujours plus innovants et à rester en phase avec notre mission première : créer des lieux dans lesquels il fait bon vivre, habiter et travailler », explique-t-il.

Pour y parvenir, il a noué un partenariat avec Saint-Gobain destiné à accélérer et à massifier la construction et la rénovation bas carbone. « Il porte notamment sur la construction bois et l’usage de nouveaux produits conçus avec des matériaux biosourcés et géosourcés mais aussi sur l’utilisation de solutions et de matériaux comprenant une part de recyclé importante, tout comme des systèmes issus du réemploi. Nous nous rapprochons aussi du monde de la recherche et de l’éducation comme en témoigne notre partenariat avec HEC autour de la « Corporate Initiative Icade For Better Urban Living », qui a vocation à répondre aux défis contemporains par une approche innovante et inclusive, en accom- pagnant le développement de nouvelles compétences », souligne-t-il. Tout en valorisant aussi les partenariats avec les start-ups, notamment la start-up studio d’Icade, Urban Odyssey, qui a déjà à son actif 14 start-ups dont Vertuo, qui revalorise les eaux pluviales par du végétal en cœur de ville ou Stock CO2 qui accompagne les entreprises dans la mise en œuvre de leur stratégie de compensation carbone volontaire sur le territoire français. « Nous développons enfin des partenariats avec nos locataires et grands clients pour aller toujours plus loin avec eux, comme avec le Bail Engagé Climat, par lequel propriétaires et occupants s’engagent à œuvrer ensemble pour la recherche des impacts environnementaux », conclut Olivier Wignolle.


Salon de l’immobilier bas carbone : un succès

Les promoteurs ont repensé leur façon de travailler pour s’adapter aux contraintes énergétiques et à des équations budgétaires tendues. Cette nouvelle donne n’empêche pas que le secteur de la construction demeure dynamique. En témoigne le succès de la première édition du salon de l’im- mobilier bas carbone qui a fait carton plein en septembre dernier. Ce nouvel événement peut se targuer d’avoir tapé dans le mille en réunissant dans une partie du Grand Palais éphémère les spécialistes de la construction dont les solu- tions visent à réduire l’empreinte carbone du bâtiment. Car il existe des solutions pour le développement économique des métropoles dans le souci des objectifs écologiques.

Directrice générale de Sogeprom, Béatrice Lièvre Théry estime que « ces nouvelles contraintes sont des opportunités pour gagner en responsabilité. Nous avons lancé le Pacte 3B, pour Bas carbone, Biodiversité et Bien vivre. Et nous appliquerons le seuil 2025 de la RE 2020 dès cette année ». À ses yeux, la ville idéale doit être plus vertueuse et plus accueillante. De fait, les métropoles françaises sont en passe de devenir des modèles d’inspiration, car elles ont su s’interroger sur la façon de combiner qualité de vie et bien-être au travail. Charlotte Halpern, directrice scientifique du master « Gouvernance territoriale et développement urbain » à l’école urbaine en est convaincue : les opportunités sont nom- breuses pour les entreprises. C’est l’occasion pour elles de tester des innovations technologiques (matériaux, efficacité énergétique, végétalisation), de développer leurs savoir-faire techniques (efficacité énergétique, décarbonation), mais aussi de nouer des alliances avec d’autres entreprises et bureaux d’étude spécialisés et de capter des financements publics dédiés (Caisse des dépôts, BEI).

“ Concilier qualité de vie et développement durable, c’est clairement l’objectif des acteurs privés, mais aussi de l’ensemble des structures publiques. ”

Où en est la métropole du Grand Paris ?

Concilier qualité de vie et développement durable, c’est clairement l’objectif des acteurs privés, mais aussi de l’ensemble des structures publiques. La métropole du Grand Paris, qui a officiellement vu le jour en janvier 2016, en a fait une priorité. Comme le souligne son président Patrick Ollier,  « Nous avons traduits les défis urbanistiques en 12 ambitions que nous portons à travers notre Schéma de Cohérence Territorial (SCoT) métropolitain, lequel mise sur une métropole résiliente, équilibrée et attractive. Nous agissons en faveur de la transition écologique, de l’amélioration du cadre de vie et de la protection face au risque d’inondation, à travers des opérations de désim- perméabilisation des sols ou de protection du coefficient de pleine terre ».

En parallèle, les initiatives publiques en matière de décarbonation se multiplient, notamment à l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques 2024. Pour la construction et l’ensemble du cycle de vie du village des athlètes et de ses équipements publics, l’empreinte carbone a été réduite de 45 % grâce à l’usage de matériaux biosourcés, du bois, du béton bas carbone et ultra-bas carbone, qu’il s’agisse de la construction de nouveaux bâtiments ou de la rénovation de l’existant, il a souhaité inscrire la dimen- sion environnementale au cœur de ce projet métropolitain : « Dès décembre 2018, nous avons adopté un Plan Climat Air Énergie Métropolitain qui formalise notre engagement à diminuer les émissions de gaz à effet de serre et à développer des politiques d’adaptation au changement climatique. La finalité : atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. En décembre 2019, la métropole du Grand Paris a signé une convention tripartite avec l’État et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) pour mettre en œuvre le programme Service d’accompagnement à la rénovation énergétique (Sare) ». Une ambition qui a conduit à la réduction de la consommation des bâtiments publics et de l’habitat des ménages.

« Depuis 2016, nous subventionnons de nombreux projets de rénovation thermique. Nous déployons en outre 5000 bornes de recharges électriques, pour promouvoir l’usage de véhicules électriques et sobres », souligne-t-il.

La biodiversité n’est pas en reste. « Le programme Nature 2050, qui s’inscrit pleinement dans le Plan Biodiversité Métropolitain, bénéficiera pour sa 2e édition de 4 millions d’euros supplémentaires. Lors d’un prochain conseil, je proposerai d’inscrire au budget 2023 la création d’un fonds biodiversité de 80 millions d’euros pour soutenir les projets des 131 communes métropolitaines », détaille Patrick Ollier. Il s’agit d’amorcer un processus de restauration écologique de long terme. La métropole du Grand Paris a été reconnue, le 21 novembre 2022, « territoire engagé pour la nature ».

De nouvelles lignes de transports mais des projets trop peu ambitieux

Pour faire du Grand Paris une réalité, il convient de s’assurer de la mobilité des Franciliens. C’est la raison pour laquelle plusieurs lignes de métro ont été prolongées, ou le seront dans un proche avenir. La ligne 4 du métro est prolongée jusqu’à Bagneux. Deux nouvelles stations, Barbara et Lucie- Aubrac ouvrent entre Montrouge et Bagneux. La ligne 12 a aussi été prolongée jusqu’à Mairie d’Aubervilliers, avec la mise en service de deux nouvelles stations. Le projet d’extension de la ligne 14 se poursuit. Quant aux lignes 16 et 17, les premiers rails (fabriqués en acier bas carbone) ont été posés en juin dernier. Une étape clé dans l’avancement du projet du futur métro automatique. La prolongation de la ligne 1 en revanche n’est pas pour demain. Le ministre des Transports a refusé l’allongement entre Château de Vincennes et Val-de-Fontenay. L’objectif est de permettre aux collaborateurs de se déplacer aisément, à la fois dans Paris intra-muros, mais aussi d’une banlieue à l’autre, grâce à la constitution d’un anneau autour de la capitale. C’était d’ailleurs tout l’objet du Grand Paris Express.

Si les gestionnaires des infrastructures de transports en commun tentent de relever le défi du changement climatique, il reste un certain nombre de problèmes à régler concernant les usagers individuels. Tout d’abord, les bornes électriques font largement défaut. Par ailleurs, une facilitation de la mobilité sur le premier et le dernier kilomètre gagneraient à être envisagée. Si de nouvelles lignes de transport voient le jour, il n’en demeure pas moins que trop peu de projets ambitieux de rénovation sont menés. « La ZAC Paris Rive Gauche avait été une vraie réussite, mais bon nombre de chantiers, qu’il s’agisse de l’aménagement du quartier de Charenton ou encore de celui de la porte de Montreuil sont actuellement gelés. Par frilosité, Paris ne se transforme plus. On vit sur une culture de la rente », déplore Marie Sophie Claverie, directrice générale du MEDEF Paris. Elle regrette que les entreprises ne soient pas davantage considérées, alors même que para- doxalement, ce sont elles qui sont pourvoyeuses d’emplois, donc d’attractivité. « Il faut cesser la logique punitive, et leur faire confiance dans leur capacité à accompagner la transition écologique. Laissons davantage la main aux bailleurs pour construire mieux, car si on gèle tout projet, ce sont les emplois qui en pâtiront », ajoute-t-elle. Les espaces verts, aussi agréables soient-ils, ne suffiront pas à faire venir les populations s’il n’y a pas d’activité économique pour les faire vivre. Car ce qui motive en effet les ménages à s’installer en ville, c’est précisément la promesse de contrats intéressants.

Les grands projets d’urbanisme actuellement menés sont ceux qui avaient été déjà votés. Ainsi, la reconversion de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, dans le 14e arrondissement de Paris. Menée par le promoteur Quartus, l’opération vise à transformer un bâtiment de 1950 en un ensemble de 137 logements et de 2 700 m² de locaux d’activités. Autre établis- sement de santé qui changera d’affectation : l’ancien hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce, bd de Port-Royal. Il pourrait accueillir PariSanté Campus (actuellement situé à la limite du 15ème arrondissement).

C’est également un projet qui n’a rien de nouveau qui se poursuit : le changement d’affectation de l’ancienne gare des Invalides. Elle sera investie à partir de 2026 par la Fondation Giacometti afin d’y créer un musée et une école sur une surface de 6 000 m². Un chantier qui s’inscrit dans le cadre du programme « Réinventer Paris 2 : esplanade des Invalides » de la ville de Paris dont les lauréats sont Emerige et Nexity. Le bâtiment et ses annexes souterraines, créés à l’occasion de l’exposition universelle de 1900, seront entièrement rénovés.

Rien de neuf sous le soleil non plus avec la poursuite du projet Maine-Montparnasse, qui passe tout de même à la vitesse supérieure. Tout le quartier est repensé pour être en phase avec les nouveaux enjeux urbains (piétonnisation, végé- talisation, rénovation d’édifices vieillissants...). En septembre 2022, les travaux pour surélever la tour ont démarré. Une serre agricole sera aménagée. Non loin de là, le top départ a été donné pour la réhabilitation du secteur Bartholomé/ Brancion. Au programme, l’amélioration des équipements publics et la construction de logements.

Au sud de Paris, le quartier Olympiades continue de se moderniser, tout comme la zone Bédier Oudine. Quant au secteur Paul Bourget (4 hectares), il sera réaménagé d’autant qu’un certain nombre d’immeubles ne répondaient plus aux normes d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite ni environnementales.

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Décarbonation et boom des écoquartiers

Marco Cremaschi, directeur scientifique du master Cycle d’Urbanisme à l’École urbaine de Sciences Po, estime que le parc MLK de Batignolles a permis de tester les politiques sur la biodiversité : « Il faut être conscients qu’elles sont coûteuses et qu’il faut concilier l’impératif d’accroitre le logement social et celui d’élargir les espaces verts. Une étude menée il y a deux mois par les étudiants du Cycle d’Urbanisme de l’École urbaine de Sciences Po a analysé un échantillon des projets récents. C’est sur les technologies environnementales, le réemploi et le rapport avec les espaces verts qu’on a le plus avancé ». De fait, parmi les chantiers qui font recette, on peut citer le boom des écoquartiers. Ils se sont développés partout en France. Cette démarche « ÉcoQuartier » portée par le gouvernement depuis quelques années, favorise de nouvelles façons de concevoir, de construire et de gérer la ville durablement. Dans cet esprit, le quartier Issy Cœur de Ville vise à réinventer la vie urbaine en proposant un cadre de vie animé et respectueux de l’environnement. Ce nouvel écoquartier en plein centre-ville fait cohabiter, sur 105 000 m2, appartements, bureaux, école et commerces. Le PLU bioclimatique, déjà cité plus haut, prévoit de préserver et d’augmenter les espaces végétalisés, d’accroître le nombre de logements publics et de promouvoir la réhabilitation du bâti. Le volet tertiaire se veut beaucoup plus exigeant sur les normes de construction.

La Défense, un virage exemplaire

L’exemple de la Défense montre que la décarbonation n’est pas incompatible avec développement économique. Avec 1 million de mètres carrés obsolètes sur le plan énergétique, ou en passe de le devenir, ce quartier d’affaires souhaite diviser par deux son volume d’émissions carbone d’ici à 2030, et a lancé ses premiers « États Généraux de la transformation des tours ». Dans ce même esprit, le 1er janvier 2023, avait lieu la deuxième édition du concours Cube Paris La Défense, dont l’enjeu est d’engager les occupants et exploitants à améliorer l’utilisation des bureaux en optimisant, notamment, la consommation de climatisation et de chauffage. Ce quartier change littéralement de visage avec le méga projet Odyssey et la Tour Hekla, véritable œuvre architecturale prismatique de verre et de métal de 220 mètres. Quant à la très minérale esplanade, elle va être transformée en un vaste parc urbain.

L’immobilier d’entreprise sur la voie de la durabilité

Les enjeux de développement durable constituent une composante essentielle dans la conception, la construction neuve, la rénovation, l’aménagement, la gestion et l’exploitation des bâtiments professionnels. Pour mieux envisager les sujets ESG appliqués à l’immobilier d’entreprise, le groupe CBRE France a renforcé son offre de services en développant un département dédié « Services ESG & développement durable » suite à l’acquisition en juin 2022 de la société Green Soluce. Il est dirigé par Ella Etienne-Denoy, et compte une trentaine de collaborateurs en France et 130 collaborateurs en Europe.« Notre objectif est de renforcer l’ expertise de CBRE sur les sujets environnementaux, sociétaux et de gouvernance, appliqués à l’immobilier. L’accompagnement de nos clients sur les questions de durabilité se décline tant sur la réflexion stratégique en amont que par la mobilisation de nos équipes pour envisager l’ensemble des paramètres qui sous tendent le développement durable (énergie, carbone, biodiversité, ressources). Il s’agit aussi d’aider les entreprises à mieux se former et à communiquer pour valoriser leur engagement en travaillant une narration qui fasse sens pour l’ensemble de leurs parties prenantes », explique-t-elle.

Pour la cofondatrice et ancienne présidente de Green Soluce, les sujets de durabilité ne peuvent être réduits à la consommation énergétique ni même à l’empreinte carbone. Ni être l’apanage d’ingénieurs et de techniciens. Dans le sillon du Grenelle de l’environnement en 2008 et de la COP21 en 2015, s’est forgée la volonté de prendre à bras le corps l’enjeu du changement climatique, tant sur le volet de la réduction des gaz à effet de serre que sur l’adaptation des acteurs à la nouvelle donne climatique et au risque qu’il représente. « Parallèlement, un cadre réglementaire a été formalisé, articulé au niveau national sur l’enjeu de la réduction des consommations énergétiques des bâtiments tertiaires à horizon 2030, 2040 et 2050 autour du dispositif Eco Energie Tertiaire. Au niveau européen, le Green Deal fixe le cap de contribution du continent à une trajectoire de neutralité carbone à horizon 2050 et a donné lieu à une classification des activités économiques selon leur degré de durabilité la « taxinomie » européenne. Pour les investisseurs, la réglementation SFDR impose désormais des exigences accrues en matière de transparence sur la prise en compte de la réduction des risques ESG dans le cadre de leurs activités financières ».

Les investisseurs bailleurs comme les entreprises utilisatrices de locaux ont tout intérêt à s’engager pleinement dans cette voie. « D’abord, car il s’agit de s’inscrire en cohérence avec leurs propres engagements RSE. Les actions menées constituent les éléments de preuve des promesses d’engagement annoncées. Mais aussi car le carbone en particulier est devenu en enjeu à part entière de gestion du risque de dégradation de la valeur de l’actif en cas de non ou insuffisante prise en compte. Enfin, depuis l’explosion des prix de l’énergie, la maîtrise de la consommation énergétique s’est imposée comme un enjeu économique prégnant pour les entreprises, là où il était encore récemment insignifiant dans un contexte d’énergie pas chère », observe Ella Etienne- Denoy. Elle ajoute que les collaborateurs attendent de leur employeur qu’il soit exemplaire en matière de durabilité : « C’est un enjeu d’attractivité des talents ». Et de conclure : « Je préfère le terme de régénération à celui de rénovation durable car la rénovation se définit comme une remise à neuf. À Paris, l’idée n’est pas de faire table rase du passé mais de capitaliser sur l’histoire urbaine et le stock existant de bâtiments, en y intégrant les enjeux du 21ème siècle avec pragmatisme. L’exercice est complexe et suppose de s’appuyer sur une intelligence collective et de nouvelles méthodes de gestion de projet en favorisant une articulation cohérente entre le privé et le public pour intégrer dans l’équation des paramètres politiques, économiques, techniques, patrimoniaux, sociétaux et humains. »

Comment Paris se positionne dans l’environnement international ?

En juin 2020, la convention citoyenne pour le climat a rendu des propositions, parmi lesquelles, la diminution de l’artificialisation des terres et les changements urbains. Les experts du GIEC estiment que 50 à 70 % des solutions au changement climatique peuvent être mise en œuvre par les villes. Et Paris semble tirer plutôt bien son épingle du jeu. « La capitale est devenu un leader en matière de développement durable. Au moment où les premières discussions internationales sur l’atténuation du changement climatique ont eu lieu, la France était déjà un pionnier involontaire en raison de la politique de sécurité énergétique mise en place suite aux chocs pétroliers », explique Roberto Rodriguez, enseignant à l’École urbaine de Sciences Po. Un programme nucléaire, des taxes et des réglementations lui ont conféré une longueur d’avance par rapport à ses pairs européens en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. « Mais elle a eu du mal à maintenir son rythme, ce qui l’a amenée à renforcer la réglementation thermique afin d’accroître l’efficacité énergétique. Paris a encore de nombreux défis à relever. Par exemple, le pourcentage d’espaces verts est très faible (10 %) par rapport à d’autres villes européennes, comme Londres (33 %) ou Oslo (68 %). La mairie a le projet de reverdir la ville d’ici à 2030 en plantant 170 000 arbres et de transformer certains de ses points de repère pour en faire de gigantesques jardins urbains (projets pour les Champs Elysées ou la Tour Eiffel alentours) », ajoute-t-il. Pour Tommaso Vitale, également enseignant (en sociologie) dans cet établissement, et nouveau doyen, « si on compare Paris aux villes les plus attractives du monde, on se rend compte que la capitale française dispose de ressources économiques et d’une expertise technique importantes. Des concours innovants, comme Réinventer Paris, ont permis de modifier les pratiques des pro- fessionnels de l’immobilier ». En conclusion, le rêve ne doit pas être synonyme d’utopie. La promesse d’une ville où il fait bon vivre doit rimer avec celle d’une ville attractive, dynamique, et qui crée de l’emploi. L’avenir appartiendra aux métropoles qui auront su conjuguer avec brio ces impératifs !