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DOSSIER : Le métavers, un grand pas pour l’humanité ? 3/3

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THE SANDBOX VS DECENTRALAND

QUEL LEADER DU MÉTAVERS ?

Deux plateformes ont particulièrement sorti leur épingle du jeu : Decentraland et The Sandbox. Ces deux grands projets ambitieux se partagent une part importante du marché.

D’origine française, The Sandbox - lancé en 2012- est le premier a avoir été mis en ligne. Initialement, c’était un jeu mobile en 2D, avant de migrer en 3D en 2017. De quoi séduire la société de conception de jeu, Animoca Brands qui s’est approprié de The Sandbox, en investissant de manière conséquente pour développer ce métavers. Près de 170 marques ont choisi cette plateforme.

Fondé en 2015 par des argentins, Decentraland offre notamment la possibilité de concevoir des œuvres d’art en 3D, dans le cadre d’une organisation autonome décentralisée. Ces deux projets d’envergure planétaire ont pour but de développer des mondes virtuels, des métavers, basés sur la blockchain (Ethereum en l’occurence). Pour les utilisateurs, c’est l’opportunité de créer des avatars, d’acheter et de vendre des actifs numériques comme les terrains virtuels… tout en participant à l’économie propre à chaque écosystème. Decentraland figure parmi les projets métavers le plus soutenu ce jour. De nombreuses entreprises très puissantes comme Samsung et Cyberpu Axa, Carrefour, Havas, Casino et bien d’autres encore ont annoncé leur arrivée sur les plateformes de métavers comme The SandBox ou Decentraland.

La formation, un enjeu majeur

Toujours est-il que face à ces évolutions, la formation est devenue un enjeu majeur ! Partout dans le monde, des écoles du métavers fleurissent. L’université de Tokyo a lancé une formation à distance dans le métavers, tout comme la prestigieuse université de Pennsylvanie qui propose un cursus intitulé : « Les affaires dans l’économie du métavers ». À Paris, le Métavers Collège a vu le jour. Et ce n’est pas un hasard si le campus est implanté à la Grande Arche de la Défense, une localisation tout indiquée pour suivre les évolutions tech des plus grands acteurs de l’économie française et internationale.

Une nouvelle académie du métavers pour former les futurs bâtisseurs du métavers

Prendre les devants en se formant dès maintenant à de nouveaux métiers, voilà la promesse d’une autre formation dont l’annonce en juin dernier a défrayé la chronique : celle issue d’un partenariat entre Meta et Simplon.co pour lancer l’Académie du métavers. Meta a ainsi annoncé la création d’une école gratuite et inclusive entièrement dédiée à ces sujets. Et a choisi pour cela de se rapprocher de Simplon.co, entreprise sociale et solidaire de formation au numérique. « Nous avions déjà des accords très structurants avec Microsoft, Apple… Meta nous a contacté à son tour pour monter cette académie du métavers », explique Frédéric Bardeau, cofondateur et président de Simplon, une structure qui, depuis ses débuts, a toujours tendu la main aux demandeurs d’emploi, aux décrocheurs scolaires, aux migrants, aux personnes en situation de handicap… « S’il reste beaucoup de choses à inventer, tous les fondamentaux technologiques existent depuis presque 20 ans dans la formation professionnelle, le gaming, la santé… Nous n’avons pas attendu le métavers pour faire de la réalité virtuelle en France, et avons une filière qui travaille sur les technologies immersives, avec de superbes studios de production », précise-t-il.

Les programmes ont commencé dès octobre. À Paris, Marseille, Lyon et Nice, une centaine d’élèves seront pris en charge pendant cette première année pilote, et suivront des sessions de formation intensives avant une phase d’alternance au sein d’entreprises. Plusieurs métiers sont déjà en tension sur le marché de l’emploi, notamment ceux de concepteur-développeur spécialisé en technologies immersives ou encore de technicien support/assistance. Comme le déclare dans un communiqué Laurent Solly, vice-président Europe du Sud de Meta : « la France a tous les atouts pour devenir un acteur essentiel à la construction du métavers en Europe et notre écosystème d’entreprises est déjà en forte demande de compétences. Cette académie est un premier pas pour anticiper l’accélération des usages ». Des appels à projets publics de la Caisse des dépôts ont permis de générer des sommes très conséquentes pour pousser les technologies immersives en formation. Cela a créé un appel d’air très fort.

Une nécessaire ouverture

Frédéric Bardeau rappelle qu’il n’y a non pas, un métavers, mais plusieurs, et déclare avoir été vigilant pour que cette formation s’ouvre à l’ensemble des métavers : « nous ne voulons pas former des gens uniquement dans l’écosystème de méta, avec des casques spécifiques… dans la mesure où pour l’instant il n’y a pas de standard d’interconnexion. C’est d’ailleurs l’une des difficultés des entreprises que de savoir sur quoi on joue, avec qui on joue et quel est le l’endroit où il faut absolument être parce que ça va devenir le standard ». Autre défi : les questions de responsabilité sur des sujets aussi nombreux qu’en friche concernant les données personnelles, l’accessibilité au handicap, l’impact écologique du numérique, l’inclusion… Sans parler des questions de souveraineté pour savoir si le métavers sera américain, européen !

“ De nombreux sujets en friche concernant les données personnelles, l’accessibilité au handicap, l’impact écologique du numérique ou l’inclusion. ”

Quels sont les écueils ?

Si le métavers fascine, il alimente aussi quelques réserves, notamment sur l’usage des données collectées. L’expression corporelle, les mimiques, les sourires… ces nouvelles données personnelles vont pouvoir être interprétées pour personnaliser et améliorer encore leurs algorithmes. Par ailleurs, peu de personnes pour le moment sont équipés de casques. Appartiendra-t-il aux entreprises de le fournir ? Quid de la segmentation des usages professionnels et privés ? Le métavers représente-t-il une chimère ou un nouvel eldorado, chacun y va de son interprétation de par son côté un peu « Far West ». Certains alertent d’ailleurs sur la nécessité d’un comité de conseil et de déontologie pour encadrer les questions d’éthique, qui devraient être aussi centrales que celle du business. Autre appréhension : celle d’un monde où nous passerions notre temps à vivre à la frontière du monde réel et du monde virtuel, avec peut être un basculement dans le second, et la crainte d’un potentiel renfermement sur soi, ou d’une sorte de schizophrénie. À moins que cette fuite en avant vers le virtuel soit une forme de déni, un aveu implicite de notre incapacité à réparer le monde réel ? Ce qui n’est guère plus rassurant.

Une bulle spéculative et un marché réservé aux geeks ?

Le marché a émis quelques signaux faibles ces derniers mois avec notamment une correction du cours des cryptomonnaies (lesquelles ne sont pas une évidence pour tout le monde, loin s’en faut) et un tassement de l’engouement autour des NFT… Faut il y voir le risque de bulle spéculative ? Pour l’heure, en effet, ces sujets demeurent très obscurs pour le commun des mortels. Les jeunes y viendront sans doute plus rapidement que les autres, mais il va se poser la question de l’acculturation. Une étude du cabinet Censuswide révèle d’ailleurs que le métavers n’intéresse pas la majorité consommateurs, mais seulement une poignée de crypto-fans endurcis.

Certains analystes anticipent d’ailleurs un coup marketing amené à s’étioler. À noter des différences de perception selon les pays, avec des espagnols relativement optimistes quant à ce phénomène, et des Français qui le sont beaucoup moins. Il y a consensus en revanche sur l’un des grands défis du métavers, à savoir l’interopérabilité entre le réel et le virtuel. Autrement dit, comment faire passer les données du monde réel au monde virtuel, et peut être même d’un métavers à l’autre ? Beaucoup de questions en somme, et encore peu de réponses !

Lancement d’un Observatoire des métavers

Talan, Bpifrance, La Poste, La Mutuelle Générale et Devinci Executive Education viennent de fonder un Observatoire des métavers. Cette association à but non lucratif a vocation à analyser les développements sociétaux et professionnels de ces univers immersifs. L’observatoire se propose de publier chaque année un rapport sur l’impact des métavers et un baromètre sur la perception des Français. « Beaucoup considèrent le métavers comme une comète qui va rapidement disparaître. Je pense au contraire qu’il s’agit d’un sujet de fond qui va obliger les entreprises et les pouvoirs publics à se positionner rapidement », estime Philippe Cassoulat, président de cet Observatoire et directeur général groupe chez Talan. L’association veut également être un lieu d’échange sur les bonnes pratiques, et les meilleurs cas d’usages tout en jouant un rôle politique pour formuler des recommandations aux pouvoirs publics. « Nous voulons réfléchir tous ensemble à un métavers responsable, et se poser les bonnes questions, notamment sur la collecte des données, sur l’éthique ou encore en termes d’impact écologique. Il faut aussi s’interroger sur les usages professionnels, sachant qu’on en est encore au stade expérimental », ajoute Florence Tagger, directrice stratégie digitale & data au sein de la Mutuelle Générale. L’enjeu pour son groupe ? Mener des chantiers sur la formation et optimiser l’accompagnement aux soins.

LE PMU MISE SUR LE MÉTAVERS

Plusieurs entreprises s’interrogent sur les perspectives qu’offre le métavers. Certaines ont déjà bien avancé dans leur réflexion, à l’image du PMU. C’est ce qu’explique Constantin Garreau, Directeur innovation du groupe.

Où en êtes-vous dans vos réflexions au sujet du métavers ?

Nous explorons les possibilités qu’offre la blockchain sur les NFT. Nous nous apprêtons à lancer un jeu fin 2022 pour vivre l’expérience d’un propriétaire de cheval de course. Ce sera totalement différent de notre offre de paris hippiques par ailleurs. C’est une « porte d’entrée » dans des univers qui ressemblent à ceux du jeu vidéo dans lesquels on peut vivre des courses hippiques de façon ludique et immersive.

N’avez-vous pas le sentiment que les entreprises sont plus en avance de phase que les joueurs sachant que pour beaucoup de Français, ces sujets sont encore relativement obscurs ?

Avec ce type de projets, notre enjeu n’est pas tant de parler à nos clients actuels, mais d’être attractifs pour des personnes peu familières avec les courses de chevaux. Il nous paraît pertinent de nous intéresser à une cible plus geek, de joueurs et d’investisseurs crypto. Si on leur explique qu’ils ont la possibilité d’acheter le jumeau numérique d’un cheval inscrit dans une course, et que les performances du cheval dans le monde réel auront un impact sur son double virtuel nt alors on les projette dans un univers qui correspond à leurs codes.

Donc l’enjeu, c’est de conquérir de nouveaux clients ?

Exactement ! Le PMU, c’est plusieurs millions de joueurs à l’échelon national, en ligne et en points de vente. Leur profil type : plutôt des hommes, de 30 à 50 ans. Nous voulons séduire un public plus jeune ou tout du moins plus technophile. Sachant que les jeux font partie de leurs usages, il y a probablement des comportements sur lesquels on pourrait s’adosser pour construire avec eux une relation. Pour autant, nous ne voulons ni travestir notre identité, ni prendre le risque de déstabiliser notre communauté. C’est pourquoi nous avons créé une entité juridique dédiée, portée, soutenue et propulsée par le PMU car nous sommes une marque forte, gage de confiance et de sécurité.

Avez-vous mis en place des focus Group, pour évaluer leur adhésion ?

Nous avons réalisé plusieurs tests, mais le meilleur, c’est celui mené auprès de nos stagiaires. À l’issue de leur stage, je leur ai demandé s’ils auraient envie de jouer au PMU dans l’avenir. La réponse était plutôt non. En revanche, quand j’ai émis la possibilité pour le PMU de se projeter dans les métavers, ils ont semblé très intéressés. Il n’est pas évident de comprendre leurs habitudes, mais l’inverse est vrai aussi. Quand on leur dit qu’on ne comprend pas pourquoi ils achètent un sweat à leur avatar, ils répondent qu’ils ne comprennent pas non plus qu’on achète des vêtements dans des enseignes qui font travailler des mineurs dans des pays au bout du monde. De plus, à leurs yeux, le monde virtuel est très connecté au réel.

Où en êtes-vous dans votre projet d’achat de terrain dans le métavers ?

Nous avançons sur le sujet. A cette fin, nous nous sommes rapprochés d’éditeurs comme The Sandbox et Decentraland . Il y a un intérêt à se rapprocher des codes et du monde du jeu vidéo. Faire un faire un jeu vidéo, c’est un métier. Si on voulait faire un jeu équivalent à Fortnite autour du monde du cheval, cela nous coûterait des centaines de millions d’euros et cela prendrait deux ou trois ans, avec un fort risque d’échec. Avec un projet NFT consistant à transposer un cheval qui existe, et évolue en fonction de ses performances dans la vie réelle, il est facile de projeter notre univers dans ceux de jeux existants

Concrètement, pour acquérir un terrain, comment ça se passe ?

La première étape consiste à déposer des euros sur un compte auprès de partenaires homologués qui vont les transformer en crypto monnaie et ensuite opérer la transaction. Ensuite, il est nécessaire de sécuriser les actifs détenus. Notre objectif est de détenir des terrains qui feront peu ou prou la taille d’un hippodrome, soit plusieurs dizaines d’hectares, pour une valeur qui peut être donc conséquente. Cela suppose des process informatiques pour la transaction et la conservation des actifs, mais aussi le déploiement de stratégies pour échapper à des pirates.

Sachant que dans cet univers, le cadre est extrêmement flou, n’êtes-vous pas challengé par votre direction juridique au sens où vous ne détenez pas d’acte de propriété ?

L’acte de propriété, c’est l’inscription sur la blockchain d’une transaction entre le PMU et un tiers. Il est important de sécuriser au maximum le transfert de propriété réelle de cet actif vers le PMU. Cela prend du temps et de l’énergie pour évaluer les risques, d’autant que nous sommes une entreprise régulée pour ses activités de jeu d’argent, avec un impératif de jeu responsable et de lutte contre la fraude et le blanchiment.

Que se passerait-il si le métavers n’était finalement pas le digital de demain ?

Le PMU d’aujourd’hui doit être en capacité d’innover, d’où l’idée de proposer des expériences avec des doubles numériques de chevaux réels, demain peut-être dans des répliques virtuelles d’hippodromes, et toujours dans une logique interactive. Le fait d’adresser ces sujets et d’opérer des transactions en crypto monnaies fait grandir l’organisation. Quand je suis allé voir les personnes en charge de la trésorerie et de la comptabilité en évoquant ces sujets la première fois, elles m’ont regardé avec des yeux écarquillés. Aujourd’hui, elles sont heureuses d’adresser des sujets d’innovation. Je dois avouer que j’ai globalement fait face à moins d’objections que ce que je pensais.

Dans un monde classique, les entreprises se fixent des objectifs, auxquels correspondent des dépenses, et réfléchissent à la question de la rentabilité. Or là, on a le sentiment que le métavers coûte beaucoup d’argent alors même qu’il n’y a aucun business model ?

Nous avons construit un business plan extrêmement rigoureux à cinq ans sur lequel nous avons travaillé plusieurs mois, mais très probablement la 2ème ligne sera fausse à l’issue du 2ème jour. C’est le principe de l’innovation. C’est davantage une feuille de route, mais il n’en demeure pas moins que chaque euro dépensé est piloté de façon très fine. Nous sommes conscients que toutes les questions qu’on se pose, toutes les méthodologies mises en œuvre, les formations menées sur le design d’expérience et la modélisation 3D… sont des compétences qui vont nous servir le jour où le métavers deviendra courant. Et c’est même une expertise et une culture qui irriguent toute l’entreprise. L’organisation est en train de grandir et d’apprendre et c’est un investissement que le PMU est prêt à faire. À défaut d’avoir de l’avance, nous n’aurons pas de retard !

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