Numérique

DOSSIER : Le métavers, un grand pas pour l’humanité ? 2/3

Temps de lecture 5 minutes

AVIS D'UN EXPERT : LE MÉTAVERS, À QUOI ÇA SERT ?

CHRISTOPHE JEANTET -DIRECTEUR D’ACCENTURE TECHNOLOGY EN FRANCE.

“ Augmenter l’expérience des collaborateurs et des consommateurs. ”

Le métavers va-t-il révolutionner nos vies ? Quels seront les nouveaux usages ? Eléments de réponse avec Christophe Jeantet, directeur d’Accenture Technology en France.

 

Chez Accenture, vous avez créé un département dédié au métavers. Est-ce parce que ce sera, selon vous, notre monde de demain ?

Nous publions des études annuelles sur notre vision de l’évolution technologique. Cette année nous nous sommes intéressés au métavers car nous sommes à l’aube d’une transformation majeure, liée à l’arrivée du web 3. Le potentiel d’accélération est gigantesque. 95% des dirigeants estiment que la manière d’interagir avec leurs parties prenantes va changer.

C’est ce qui expliquent qu’ils « plongent » avec un tel enthousiasme vers l’inconnu ?

L’engouement pour le métavers, et plus généralement sur toutes les nouvelles technologies, est un effet collatéral de la pandémie, car les entreprises qui n’ont pas pris le virage du digital très tôt s’en sont moins bien sorties que les autres pendant la crise du COVID. Désormais, elles veulent être sûres de pas « louper le coche ».

Concrètement, qu’est-ce que cela va leur apporter ?

L’utilisation du métavers dépend fortement de l’industrie dans laquelle évoluent nos clients. On note toutefois que le métavers est utilisé par de nombreuses entreprises pour des usages à destination des employés, par exemple dans une logique de formation immersive. Chez Accenture, nous avons ainsi déployé un métavers pour « on-boarder » nos collaborateurs. On constate que l’expérience est appréciée et que les enseignements sont davantage assimilés et retenus que lors d’une visio classique.

Les collaborateurs sont plus engagés. L’applicabilité du métavers est également forte dans l’industrie, pour optimiser le pilotage des activités. Cela permet, par exemple, de mener des exercices de sécurité sur des plateformes pétrolières ou encore de simuler des scénarios sur des chaînes de montage en immersion virtuelle pour que les opérateurs puissent se former et optimiser les processus, sachant que quand elles s’arrêtent, cela coûte très cher. En mettant en place des jumeaux numériques dans le métavers, on favorise une plus forte immersion pour, par exemple, faire ressentir la chaleur d’un départ de feu…

En quoi est-ce que cela va changer la relation avec les clients ?

Aujourd’hui, le métavers est perçu comme une continuité du « digital commerce », qui permet d’utiliser des technologies immersives pour faire vivre de nouvelles expériences augmentées à ses clients, à distance, comme sentir un parfum par exemple. C’est donc un nouveau champ des possibles qui s’ouvre pour transformer la relation client.

Est ce qu’il n’y a pas aussi un enjeu d’image, pour être moderne et innovant ?

Les entreprises croient beaucoup en cette révolution. Et sont donc en mode « early adopter » et « first mover ». Elles partent d’une page blanche, et préfèrent l’écrire elles-mêmes plutôt que d’autres le fassent pour elles ! Elles aspirent à devenir des « tech compagnies » et idéalement à créer de nouveaux marchés à partir de la technologie.

Combien cela coûte d’aller sur le métavers, au-delà du temps lié à la ressource humaine ? Et est-ce que ce n’est pas davantage pour les grands groupes que pour les PME ?

Selon la visibilité désirée, la mise de départ peut commencer à quelques dizaines de milliers d’euros. C’est un investissement très raisonnable pour des grands groupes qui cherchent à se lancer dans la course !

“ Selon McKinsey, les secteurs qui vont s’imposer sur le marché du métavers sont le e-commerce, l’éducation, la publicité et le gaming. ”

La mode et le luxe : des secteurs très en avance de phase

Kate Spade a fait une entrée remarquée dans le métavers en ouvrant une sorte de « maison de ville » new yorkaise version numérique pour participer à des expériences interactives. Avec notamment la possibilité d’acheter en avant-première de nouveaux sacs qui ne sont pas encore disponibles dans le monde réel. Et rayons sacs, comment ne pas citer le beau coup de Gucci qui est parvenu à vendre un modèle plus cher dans le métavers que dans ses boutiques « physiques ». La joaillerie n’est pas en reste, comme en témoigne l’exemple de Bulgari, qui a fait ses premiers pas avec une sorte de boutique éphémère permettant aux utilisateurs de participer à des jeux et des expériences interactives, afin de gagner de quoi accessoiriser leurs avatars. Pour séduire la gen Z, la marque a associé à l’opération l’une des membres du célébrissime groupe de K-pop Blackpink. Le ralentissement du marché des NFT semble ne pas entamer la détermination des marques. Les maisons de luxe ne sont pas à la traîne, loin s’en faut. Selon les prévisions de McKinsey, au-delà du e-commerce, les autres secteurs qui devraient s’imposer sur le marché du métavers sont l’éducation, la publicité et le gaming.

La folie immobilière

Et dans cet enthousiasme général, les marques n’hésitent pas à mettre sur la place des espèces sonnantes et trébuchantes, afin de les convertir en cryptomonnaies pour s’acheter des immeubles et des terrains. Les investisseurs sont aussi au rendez-vous, en espérant pouvoir louer ou revendre à un prix plus élevé dans l’avenir. Basé sur la blockchain, le système de « certification » est censé conférer un droit de propriété inaliénable. Devenu leader sur le marché de l’immobilier 3.0, Métavers Immobilier accompagne ses clients dans ce type de démarches, principalement sur Decentraland et The Sandbox.

Depuis sa création, l’agence a aidé plus de 5 000 clients à louer, à acheter et à vendre des parcelles immobilières dans les métavers. Plusieurs agences immobilières spécialisées commencent également à se développer, comme Voxel et Métavers Property, même si peu d’offres sont encore disponibles. À l’heure actuelle, l’offre de parcelles est limitée à 90 000 pour Decentraland, et environ 160 000 pour The Sandbox. Leur nombre et leur prix pourraient augmenter en fonction de leur succès. Plus elles sont situées à proximité de grandes marques ou de célébrités, plus elles sont chères. Les coûts fluctuent, mais il faut débourser en moyenne 150 000 euros pour un terrain. Les prix ont un peu augmenté, surtout depuis que Snoop Dogg s’est illustré sur ce terrain de jeu. Fier d’être le premier rappeur à entrer dans le métavers, cet adepte du gaming compte y planter des herbes numériques. Les propriétés aux alentours de son « Manoir » ont été valorisées à hauteur de 404 000 euros. D’autres célébrités s’y intéressent de près, comme Paris Hilton, Booba ou Gims. Dans le triangle d’or de certains métavers, les prix affichent déjà plusieurs millions. Republic Realm, une entreprise d’immobilier américaine, a acquis en décembre 2021 un terrain pour la somme de 4,3 millions de dollars (soit 3,8 millions d’euros). C’est le premier record sur The Sandbox. Alors, faut-il investir dans l’immobilier sur le métavers ? Pas évident d’y répondre car il est impossible de prévoir l’avenir de cette nouvelle technologie encore au stade de l’expérimentation.

La pérennité des métavers dépendra de la qualité des expériences proposées par les marques, mais aussi de leur capacité à attirer et fidéliser des utilisateurs. Eldorado ou mirage ? Force est de constater que beaucoup d’incertitudes demeurent, et que l’évolution des prix de ces biens virtuels n’est en rien un indicateur tant ils peuvent perdre rapidement toute leur valeur, avec le risque d’une bulle spéculative.

Le métavers pourrait réinventer le futur du travail

Le métavers représente-t-il l’avenir du télétravail ? Mark Zuckerberg en est convaincu. Selon lui, il sera bientôt possible de se téléporter au bureau sous la forme d’un hologramme grâce à la réalité augmentée. Ces technologies, si elles se précisent, n’impacteront pas seulement le monde du travail, mais plus largement l’occupation des territoires au sens premier du terme. Plus besoin de vivre à proximité des bureaux, le plus souvent situés dans des grandes villes. L’exode urbain pourrait s’accentuer. L’ambition du PDG de Meta : damer le pion à la visioconférence. Car même s’il est possible de simuler un bureau dans un loft ou une jolie bibliothèque, les salles de réunion virtuelles dans le métavers sont plus ludiques encore. Et permettent de rassembler toute une équipe dans une même pièce.

Horizon Workrooms, une expérience « immersive et bluffante »

« Nous nous posons énormément de questions sur le futur du travail. Pour faire avancer nos réflexions, nous testons chaque semaine une nouvelle solution au bureau », explique Mehdi Dziri, directeur général chez Ubiq. La raison d’être de cette entreprise est précisément d’accompagner des entreprises à se transformer et à définir les meilleurs choix de bureaux par rapport à leurs besoins. Rien de tel pour cela que d’être soi-même aux premières loges pour expérimenter. C’est pour cela qu’avec ses équipes (25 personnes au total), il a joué les « cobayes » pour la solution Horizon Workrooms. Lancée en août 2021 par Meta, cette application, proche du jeu vidéo, offre un espace de travail dématérialisé dans lequel les salariés se déplacent sous les traits d’avatars « Nous avons dessiné notre environnement de travail à nos couleurs. Chacun était tranquillement installé chez soi, et nos avatars virtuels bougeaient, riaient, faisaient des schémas au tableau grâce à un casque de réalité virtuelle et une manette.

Toutes les folies sont permises, c’est à la fois simple et amusant », raconte Mehdi Dziri, bluffé par les expressions du visage, les postures, le mouvement des bras… avec le sentiment que la frontière entre réel et virtuel se brouille davantage encore. S’il définit l’expérience comme très immersive, permettant à la fois de créer un lien nouveau et de mieux capter l’attention, il reconnaît en revanche que les casques sont encore lourds : « pas évident de passer toute une journée avec près d’un demi kilo sur la tête, sans compter les éventuels maux de tête ou le sentiment de perte d’équilibre. Les progrès technologiques laissent toutefois augurer de grands progrès, avec des casques plus légers et plus autonomes ».

PLUSIEURS ENTREPRISES SE SONT DÉJÀ LANCÉES DANS LE MÉTAVERS

PARMI LES CAS D’ÉCOLE LES PLUS EXEMPLAIRES

La FIFA dépose sa marque dans le métavers, en vue d’apporter dans le monde virtuel, les objets physiques qui façonnent les expériences de la Coupe du monde 2026.

Louis Vuitton s’était approché de l’univers des jeux vidéos en s’associant à la franchise « League of Legends » en 2019. Avec « Louis : The Game », la marque s’attaque à la notion de propriété numérique à travers 30 cartes postales à collectionner, réalisées par Beeple - l’artiste numérique le plus vendu au monde – avec le NFT le plus cher de l’histoire à 69 millions de dollars.

Warner Music va créer un parc d’attractions musical dans le métavers baptisé « Warner Music Group LAND ».

Après Glenfiddich, Kinahan’s est l’un des grands noms du whisky à se lancer dans l’univers NFT et métavers, afin de s’ancrer dans la mouvance actuelle et l’alliance entre héritage, traditions et nouvelles technologies.

Carrefour fait passer des entretiens d’embauche dans le métavers. Le groupe français a animé un événement de recrutement accessible en réalité virtuelle.

Ce recours à la réalité virtuelle au travail n’est pas nouveau. Il y a vingt ans, IBM avait dépensé des millions de dollars dans Second Life pour organiser sur cette célèbre plateforme des meetings géants.

Différentes études révèlent que la réalité virtuelle n’améliore pas la productivité des utilisateurs. Pas davantage que leur confort ou leur bien-être. On peut citer celle menée par le Dr Jens Grubert, spécialiste de l’interaction homme-machine à l’université de Coburg, en Allemagne. Il semblerait même qu’on observe une baisse de l’efficacité.

Ce que le métavers peut vraiment apporter aux entreprises

Apple, Google, Amazon, Disney, Puma, Walmart, Mc Donalds, Gucci, Adidas, Victoria’s Secret... Les plus grosses entreprises sont entrées dans la course pour devenir des leaders du métavers. Faut-il se positionner avant les autres investisseurs? Est il nécessaire d’agir vite ? Si le métavers n’en est encore qu’à ses balbutiements, il ne tardera sans doute pas à évoluer à une vitesse fulgurante. Beaucoup d’experts sont convaincus que les entreprises qui n’agissent pas aujourd’hui devront opérer dans des mondes définis par et pour d’autres qu’elles.

Des questions à foison

Autrement dit, n’est-il pas plus risqué encore de rester à l’écart du Web3 que d’investir cet espace, dès lors que c’est fait de façon réfléchie et responsable ? Soit, mais le métavers est-il vraiment accessible à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille ? S’il n’y a rien d’étonnant à ce que des géants comme Nike ou L’Oréal y investissent compte tenu de l’ampleur de leur trésorerie, pour d’autres entreprises, l’effort est moins indolore. D’autant qu’il faudra encore quelques années pour que le métavers accouche d’un modèle économique rentable !

Beaucoup d’entreprises s’interrogent sur ce qu’elles ont vraiment à y gagner. Est-il raisonnable d’investir dans un « univers » qui n’existe pas encore dans sa plénitude ? En effet, personne ne peut anticiper concrètement les cas concrets d’utilisation du métavers ni jusqu’où il se matérialisera dans nos vies. Faut il y voir l’opportunité de devenir un acteur phare de cette prochaine grande ère d’Internet, ce fameux Web3 ? Nikhil Roy, directeur créatif chez Swipe Back, reconnaît que pour les entreprises, ces sujets sont encore complexes et qu’il y a beaucoup de confusions. L’agence qu’il a co-fondée aide précisément les entreprises à y voir plus clair sur les expériences inédites et immersives que propose le métavers : « Pour le moment, c’est davantage un fantasme qu’une réalité, mais les marques y voient une façon nouvelle d’attirer leurs publics, et peut être même de sensibiliser à des enjeux importants, comme celui de la déforestation, comme en témoigne l’initiative de Fortnite sur ce sujet ».

Proposer de vraies expériences

Acquérir un terrain, soit. Mais reste à en faire quelque chose. Le groupe Carrefour a choisi d’y faire passer des entretiens d’embauche en limitant ainsi le risque de discriminations. C’est aussi l’occasion de valoriser des compétences qui ne se retranscrivent pas sur un cv. Mais les internautes sont ils vraiment au rendez vous ? Question épineuse que celle de la fréquentation des métavers ! Contrairement aux univers virtuels populaires comme Roblox qui réunit plus de 49 millions d’utilisateurs actifs par mois et 115 millions d’inscrits, Decentraland et The Sandbox ne comptent que 2 millions d’inscrits. Ce qui est certain, c’est qu’il ne suffit pas juste d’investir une plateforme, mais d’y proposer de vraies expériences augmentées et des contenus en cohérence avec la stratégie de marque. Sébastien Borget, cofondateur de The Sandbox l’affirme : « pour que le métavers apporte réellement de la valeur, les marques ne doivent pas reproduire ce qui existe dans le monde réel ». À quel point leur marché est-il concerné et à quel point peuvent-elles contribuer à le transformer ? Tel est la question à se poser. Elles doivent aussi intégrer l’état d’esprit de leurs collaborateurs, susceptibles de ne pas comprendre une attitude trop « attentiste ». McKinsey a ainsi publié en juin dernier les résultats d’une étude qui révèle l’engouement des cadres au sein des organisations sur ces sujets, puisque 95 % d’entre eux s’attendent à ce que les métavers impactent positivement leur secteur d’ici 5 à 10 ans.

Côté consommateur, le cabinet prévoit cinq cas principaux d’utilisation des métavers : le jeu ; la socialisation ; le fitness ; le commerce ; l’apprentissage à distance. À noter, 60 % des personnes interrogées préfèrent au moins une activité dans le métavers à son équivalent dans le monde physique. Ce qui laisse entrevoir un avenir radieux pour le commerce dans ces mondes virtuels. D’ailleurs, 79 % des consommateurs actuellement actifs dans le métavers y ont déjà effectué un achat. Il y a sans doute une part de prophétie autoréalisatrice, en partant du principe que si autant d’organisations déploient des budgets conséquents pour y aller, c’est qu’il y a une bonne raison. Les motivations sont aussi de l’ordre de l’image avec l’idée de s’inscrire au cœur d’une tendance émergente. Pour justifier l’achat de terrains virtuels, toutes les entreprises mettent en avant l’aspect « expérimental » et la « logique d’apprentissage permanent » en soulignant « l’humilité » des projets. La volonté d’innovation justifie à leurs yeux la prise de risque. Vont-elles se réveiller dans un désert virtuel ? Ou le « V-commerce » (commerce virtuel) va-t-il connaître le même essor que le « e-commerce » ? À suivre…

- Retrouvez, ici, la version complète -