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DOSSIER : Elon vs Goliath - Protéger sa réputation 2/2

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“ Souvent, les entreprises ne sont pas armées pour faire face car la e-reputation est à la frontière de plusieurs départements trop cloisonnés ”

                                                                                                    

                                                   RÉPUTATION DES DIRIGEANTS : L’EFFET « CAISSE DE RÉSONANCE »

La réputation des dirigeants se fait et se défait sur le web, mais aussi à travers les médias en vertu de mécanismes d’amplification, qui peuvent s’avérer aussi bénéfiques que toxiques. 

Attention à la communication de l’entourage familial - Les proches peuvent être des « maillons faibles » dans le cadre d’une attaque. Ils doivent être vigilants à ne pas publier de photos qui donneraient des informations ou mettraient à mal la réputation d’un dirigeant. Inversement, avoir des responsabilités induit une grande prudence pour protéger sa famille.

La réputation d’un dirigeant impacte son entreprise - L’affaire Carlos Ghosn montre à quel point la réputation d’un dirigeant influe sur le cours de bourse et l’image d’une entreprise.

Les atteintes à la réputation peuvent détruire - À l’ère post « me too », la parole se libère. Si c’est la plupart du temps une bonne chose, les attaques pour harcèlement ne sont pas toujours fondées. Et peuvent abîmer une personne. Marc en témoigne : « je n’ai pas été épargné par des accusations calomnieuses. J’ai été fragilisé psychologiquement. J’ai perdu beaucoup de poids. Finalement, j’ai quitté mon entreprise. C’est triste, mais par prudence, mieux vaut être extrêmement méfiant par rapport à ce qu’on dit. Le moindre propos peut être réutilisé à des fins mal intentionnées ».

Maîtriser sa communication - Rédiger un tweet n’a rien d’anodin. Ne pas exister du tout sur la toile n’est pas une bonne idée non plus, car en cas de crise, le dirigeant n’a pas d’audience. Il se retrouve alors à la merci des médias mainstream. Parmi les bons cas d’école, on peut citer la façon dont Octave Klaba , patron d’OVH, est parvenu à prendre la main suite à un incendie dans un data center en mars 2021. Il a ouvert un canal de communication qu’il maîtrisait sur Twitter, ce qui lui a permis de dire ce qu’il voulait de façon complète et selon son propre tempo.

Soigner son personal branding est important - Beaucoup de dirigeants ont pris conscience de l’importance d’alimenter les réseaux sociaux avec du contenu, notamment LinkedIn ou Twitter. Il n’est pas rare qu’ils fassent appel à des shadow writer, souvent spécialisés dans ce type d’accompagnements. L’objectif : être repéré par des pairs, mais aussi par des journalistes.

 

Les 1 001 visages des atteintes réputationnelles

Pour bien communiquer, encore faut-il savoir ce qui se dit. Et pour cela mettre en place les bons dispositifs d’écoute dans l’objectif de prendre le mal à la racine, pour éviter que la polémique n’enfle. « Nous montrons aux dirigeants de quelle façon ils pourraient se faire avoir. Nous les sensibilisons au fait qu’avec un simple nom et prénom, on peut accéder à leur numéro de téléphone, à leur dossier médical, aux sites sur lesquels ils sont inscrits, à leurs mots de passe, à leur cloud, à leurs photos, à leur localisation… Ils sont parfois stupéfaits, car ils pensaient à tort que le fait de n’avoir pas de compte Facebook était un rempart », explique Alban Ondrejeck, Co-founder/CTO & speaker chez Anozr Way. À l’avènement du web 2.0, les gens ont commencé à exposer leur vie. Une mine d’or pour les attaquants qui utilisent ces failles pour leur dérober des données. D’où sa volonté de protéger les collaborateurs sachant qu’il est facile de déduire leurs mots de passe et d’usurper leur identité sur les réseaux sociaux. Voire de tenir des propos qui ne sont pas les leurs, portant ainsi atteinte à leur réputation. « Un directeur financier qui avait porté plainte trois fois à la gendarmerie pour usurpation d’identité a compris grâce à nous que c’était lié au fait que ses informations étaient exposées, ce qui lui a permis de corriger le tir.

En France, il y a encore peu de maturité sur ces questions. Imaginez un patron inscrit sur un site extraconjugal. Il pourrait subir un chantage pour voter en faveur de telle ou telle fusion-acquisition, sous peine que l’information soit divulguée, ce qui lui porterait préjudice », poursuit Alban Ondrejeck. Avoir accès au dossier médical de quelqu’un d’important peut aussi s’avérer précieux pour des personnes mal intentionnées. Pressions personnelles, faux profils twitter, fakenews largement reprises, activisme de compétiteurs prêts à tout… les entreprises doivent composer avec cette réalité. Mais aussi avec les tentatives d’infiltration, propres à certains journalistes.

Pour Cash Investigation, émission connue pour ses méthodes musclées, une journaliste de la rédaction s’est faite embaucher comme stagiaire au service marketing digital d’un grand groupe, où une collègue lui a expliqué comment contourner la loi Évin. Dans Compléments d’Enquête, une autre journaliste rejoint un restaurant en tant qu’équipière et dénonce des méthodes de management intraitables et des conséquences lourdes sur la santé. Autre source possible pour une image ternie : l’espionnage économique ou la fraude au président. À ce sujet, Alban Ondrejeck a récemment imaginé un scénario, dans le cadre duquel un directeur général devait attester un virement auprès de son assistante, avec un secret qui n’était connu qu’entre eux deux : le cadeau offert à son enfant pour son dernier anniversaire. Sauf que le dirigeant n’avait pas conscience qu’il avait publié sur Facebook une photo avec le cadeau en question. Une information précieuse pour le pirate, qui pouvait par ailleurs identifier l’assistante grâce à LinkedIn ! « La donnée que vous exposez sur Facebook, comme par exemple le nom de votre chien, c’est une clé pour aller sur vos autres comptes, parce que c’est peut être la question secrète que vous avez mis sur votre compte icloud… Nous aidons les gens à être des cibles moins faciles. À titre de comparaison, si vous laissez votre porte ouverte quand vous partez, n’importe qui peut rentrer chez vous. Si vous la fermez, c’est plus difficile, sauf si vous mettez la clé sous un pot de fleur, dont vous publiez la photo, tout en vous félicitant sur les réseaux sociaux d’être parti en vacances. La cybersécurité a vocation certes à protéger un ordinateur mais aussi un individu contre la manipulation, le cyberharcèlement… » .

 

“ Pour faire face au no man’s land juridique, la Commission européenne tente de resserrer l’étau autour de la responsabilité pénale des GAFAM ”

La liberté d’expression : au cœur des débats

Le risque réputationnel peut-il être assuré ? Poser cette question sous-entend de pouvoir quantifier la perte de valeur d’une entreprise dont l’image a été entâchée, ce qui est d’autant plus dur que toutes les attaques ne se valent pas. S’il est possible d’évaluer la perte d’activité par rapport aux projections, mesurer le préjudice en termes d’image n’est pas simple. Longtemps accusé d’être à l’origine d’un no man’s land juridique, la Commission européenne tente de resserrer l’étau autour de la responsabilité pénale des GAFAM. N’est ce pas illusoire quand on sait que certains acteurs à dimension mondiale se moquent des frontières et misent sur des pays où la législation est plus permissive ? Précisément parce que Twitter est un réseau mondial qui transcende le concept de nation, la question de son rachat par Elon Musk avait beaucoup questionné.

Au moment où ce dossier part en impression, l’issue de l’action en justice intentée par Elon Musk devant les tribunaux de ’État du Delaware, afin de faire jouer sa clause de rétractation n’est pas encore connue. Certains ont manifesté leur inquiétude quant à cette main mise sur un réseau social doté d’une forte influence dans le monde par un homme ayant des visées politico-économiques. Lors de l’événement Vivatech, en juin dernier, Geoffroy Roux de Bézieux avait d’ailleurs déclaré que cette perspective n’était pas une bonne idée. « Elon Musk a des idées politiques et veut se servir de Twitter pour les propager. Cette plateforme devrait être gérée par une fondation car ce n’est pas un media neutre. Les algorithmes nous présentent ce qui va forger notre opinion. La tech a besoin d’éthique », avait-il déclaré, estimant qu’une éducation aux réseaux sociaux à l’école était plus importante encore que l’apprentissage du latin ou du grec ancien. Ce que ces controverses mettent en lumière, c’est la délicate question des limites acceptables de la liberté d’expression en démocratie. Un débat qui n’a pas fini d’attiser les passions, et qui redonne toutes ses lettres de noblesse à Samuel Huntington et sa théorie d’un choc des civilisations.

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