Numérique

DOSSIER : Elon vs Goliath - Protéger sa réputation 1/2

Temps de lecture 5 minutes

À l’heure des cyberattaques, des fake news et des whistleblowers, les traces numériques ont un réel impact sur l’image d’un dirigeant ou d’une organisation. Où en sont les entreprises dans leur réflexion sur ces sujets ? Il semble que la prise de conscience tarde à s’enclencher, alors même que l’enjeu est énorme. Comme disait Oscar Wilde, « on a conscience avant, on prend conscience après ». Pour éviter cet « effet retard », la meilleure protection est de rester prudent, mais aussi d’anticiper les risques.

La valeur d’une entreprise ne se limite pas à la somme de ce qui compose son bilan. En parallèle de sa capacité à protéger ses brevets, à attirer les talents ou à innover, elle doit être en mesure de contrôler son image. Les chiffres d’une étude menée par le cabinet Deloitte en 2014 sont éloquents : environ 25 % de la valeur d’une entreprise est directement liée à sa réputation.

La e-réputation : un actif qui porte l’entreprise et sa valorisation Nombreux sont les consommateurs qui ont le réflexe de consulter le web avant d’acheter un produit, un service, un voyage…

La réputation d’une entreprise peut donc contribuer à faire grimper les ventes. Ou inversement. Heureusement, les avis en ligne sont mieux encadrés que par le passé. « À l’époque, je présidais une commission sur la e-réputation au sein de l’AFNOR. Nous avions pris conscience que les commentaires des internautes n’étaient pas fiables, au sens où ils étaient souvent un moyen de déverser leur bile. Nous avons donc crée une norme imposant d’avoir fait l’expérience d’un produit ou service, avant de l’évaluer. Faute de quoi, le témoignage peut être supprimé », explique Emmanuelle Hervé. À la tête de EH&A, elle accompagne désormais les entreprises dans la résolution de crises. Et observe qu’une atteinte réputationnelle est lourde de conséquences : « suite au dieselgate par exemple, Volkswagen a dû fermer beaucoup d’usines. Les licenciements ont coûté cher et généré une perte de savoir-faire. Sans parler des procès long et onéreux et de la lenteur de la justice, en raison de laquelle, les sujets délicats refont surface régulière - ment au gré des procédures d’appel, alors même que l’entreprise tente de laver son image ». Faut-il attaquer en diffamation les personnes susceptibles de porter atteinte à sa réputation ? Pas sûr car le temps juridique face au temps médiatique ne permet pas de bien se défendre. Un entrefilet six mois plus tard n’est pas satisfaisant !

“ Ces cinq dernières années, les cours de bourse des entreprises qui ont connu des crises réputationnelles ont chuté en moyenne de 30 % ”

                                                                                                                                                                

                                                               Les consommateurs moins fâchés que les citoyens ?

Certes, beaucoup d’entreprises sont obligées de changer de nom, leur cours de bourse s’effondrent ou les dirigeants sont remerciés, mais il arrive aussi souvent que les impacts soient limités. Et ce, en raison d’une spécificité française : « les consommateurs ont tendance à ne pas se priver des marques qu’ils aiment, en dépit de l’agitation des associations ou des ONG. Le chiffre d’affaires de Findus par exemple est resté bon malgré l’affaire de la viande de cheval. Ailleurs dans le monde, les réactions sont beaucoup plus virulentes. Au moment du boycott de Danone au Maroc, l’entreprise a perdu 70 % de son chiffre. Quand il y a eu des problèmes sur les laits maternisés Nestlé en Amérique du Sud, la marque n’en a plus vendu pendant des années », souligne Emmanuelle Hervé.

 

 

La réputation ne se décrète pas, elle se gagne L’onde de choc atteint presque toujours les équipes, avec le risque d’une démotivation. À cela s’ajoute une fuite des talents et des difficultés de recrutement. « C’est parfois un secteur entier qui paye les pots cassés. Suite au scandale Lubrizol, la législation est devenue plus contraignante pour les sites de production, de traitement des déchets… lesquels doivent se mettre à jour sur les nouvelles normes, ce qui augmente le coût des formations », précise-t-elle. « Ces cinq dernières années, les cours de bourse des entreprises qui ont connu des crises réputation - nelles ont chuté en moyenne de 30 % », confirment Benjamin Grange, Véronique Reille-Soult et Victor Boury dans le rapport Pérennité des entreprises. Et les auteurs de citer l’exemple de Facebook avec Cambridge Analytica. Ou encore de Boeing avec l’immobilisation de ses 737 Max. Ils déplorent que trop de comités de direction écartent ces problématiques de leurs décisions et citent Warren Buffet, selon lequel : « il faut 20 ans pour construire une réputation et cinq minutes pour la détruire ». Ils rappellent que la réputation ne se décrète pas, elle se gagne : « cela prend du temps et lorsqu’elle est acquise il faut en prendre soin. Elle est la clé de voûte de votre valeur et repose sur votre image. Elle est l’élément constitutif de l’engagement de vos publics. Sans une bonne réputation, il n’y a pas de confiance et sans confiance il n’y a pas d’engagement ».

La confiance : un actif essentiel à consolider

La confiance. Nous y voilà ! La crise réputationnelle est avant tout une crise de confiance, sachant que cette dernière est au cœur de la relation entre le client et l’entreprise. DRH de métier et spécialiste de la conduite du changement, Sophie Vernay s’est passionnée pour ce sujet : « Pour qu’un collaborateur soit engagé dans le projet collectif, il faut qu’il ait confiance dans l’entreprise et ses dirigeants. La confiance précède la motivation, qui elle-même précède la compétence, source de performance. La défiance n’est pas une fatalité ». Désireuse d’aller plus loin, elle s’est rapprochée de l’institut Montaigne : « nous avons réuni des économistes et des patrons pour apporter un éclairage sur l’importance de la confiance dans l’entreprise ». C’est ainsi qu’est né un rapport au titre délibérément provocateur : Et la confiance bordel ! « Une entreprise ne se met en mouvement que si les enjeux deviennent quantifiables. Ce qui ne se mesure pas, n’existe pas. J’avais donc envie de modéliser la confiance et de créer un indice qui devienne une référence. Nous y sommes parvenus avec l’Indice National du Capital Confiance en entreprise (INCC). J’aimerais qu’il soit porté dans le cadre d’une stratégie nationale, comme c’est le cas pour l’indice de confiance des ménages », explique Sophie Vernay. D’où l’importance pour ces derniers de soigner leur image.

Une nouvelle démocratie qui ne fait pas toujours le jeu des entreprises

Si un dirigeant peut être vigilant à ce qu’il raconte, pas facile en revanche de veiller à ce que les collaborateurs écrivent de leur côté. Or, il n’est pas rare qu’ils témoignent auprès du plus grand nombre sur leur vécu. Leur parole est souvent plus crédible que celle de leurs patrons. Plus ou moins consciemment, ils engagent leur entreprise en partageant un ras le bol avec des hashtag dédiés, tels « balance ton agency », « balance ton cabinet »… L’opinion peut donc se construire et se diffuser malgré vous. Comme le dit le journaliste américain Chris Anderson : « Votre marque n’est pas ce que vous en dites, mais ce que Google en dit ! Et Wikileaks terrain de jeu des « whistleblowers » est l’illustration paroxysmique de cette « nouvelle démocratie » où la capacité d’investigation des internautes rend accessible à tout un chacun une information, quand bien même la véracité des propos relatés n’est pas toujours avérée. D’où l’importance pour les dirigeants d’être transparents. À l’heure du factchecking et de l’expression de l’opinion on line, les discours incantatoires trop éloignés de la réalité peuvent détruire la crédibilité. Nicolas Vanderbiest, fondateur de l’agence Saper Vedere, confirme qu’il n’est plus possible de cibler des messages pour des audiences bien précises : « avant on pouvait licencier en le déplorant face aux salariés, et en s’en félicitant auprès des actionnaires. Désormais, tout se sait ». Il invite à une très grande prudence car « il y a une décorrélation entre le contexte dans lequel un contenu est produit et le moment de consultation.

Les internautes peuvent déterrer des informations produites dans un marqueur temporel différent ». C’est pourquoi il faut être vigilant sur ce qu’il appelle « la gestion des traces numériques ». Dans cette logique de « porosité », les entreprises sont obligées d’avoir un message globalisant sur des sujets qui ne le sont pas. Avec une difficulté majeure, l’incapacité de contenter tout le monde : « quand Décathlon vend des hijab, la marque n’est pas relayée de la même façon par l’extrême droite ou les islamistes ». Il rappelle qu’en cas de crise, il n’y a pas de recette magique : « il faut agir vite, en prenant en considération l’ADN de chaque marque. Et en assumant un risque d’erreur. Prendre la parole quand on est quasiment seul face à une masse de contradicteurs n’a rien de simple ». Et c’est précisément sur les réseaux sociaux que le mécontentement se fait le plus entendre. Employés insatisfaits, justiciers masqués ou concurrents déloyaux, les sources de préjudices sont multiples et porteuses de conséquences majeures. Il est donc important d’avoir désiloté son organisation pour gérer ce buzz. Car si les entreprises ne sont pas toujours armées pour faire face, c’est aussi parce que la e-reputation est trop souvent à la frontière de plusieurs départements trop cloisonnés, lesquels, quand un problème survient, risquent de marcher sur leurs plates-bandes respectives ou au contraire de se renvoyer la balle. Et souvent de mettre trop longtemps à agir. C’est ce qui est arrivé chez Air France au moment de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Alors que plusieurs ressortissants français souhaitaient quitter le Japon, la compagnie avait augmenté les prix des billets. Les accusations d’opportunisme furent laissées sans réponse car la personne en charge de la veille attendait du top management le feu vert pour répondre. S’il ne faut évidemment pas réagir trop à chaud, une absence de réponse ou un délai de prise de parole trop long sont mal perçus. De la même façon, les dirigeants pêchent parfois par une tonalité froide et déconnectée et une insuffisante empathie.

- Retrouvez, ici, la version complète -