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Dis madame IA : où allons-nous ? [2/2]

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Il convient de na pas "louper le train". Certes l'IA n'est pas parfaite, certes il faut rester vigilant, mais il n'en demeure pas moins que les entreprises n'ont d'autres choix que de prendre le virage. Tout simplement pour rester dans le jeu et survivre.

Pour cela, il faut démocratiser l’IA. Avec son abécédaire, intitulé « L’Intelligence Artificielle, de A à Z », Pierre-Alain Raphan cherche à sensibiliser l’opinion. « Mon souhait est de nourrir le débat public, et montrer que tout le monde est concerné à différents niveaux. Il faut rendre le sujet accessible à tous, et non juste aux experts. Cela impose de donner à chacun les clés de compréhension de l’IA et de ses enjeux », justifie l’ex-député essonnien Cédric Villani, désormais responsable des relations institutionnelles du cabinet de conseil Claranet.

Selon lui, il va falloir faire des choix éclairés et conscients. Voilà pourquoi se former est une priorité. Son guide s’adresse avant tout aux chefs d’entreprise et aux politiques : « Nous avons une responsabilité importante car qui dit intelligence artificielle, dit données à exploiter et à protéger ». Tout cela nécessite des règles à respecter, des procédures à appliquer. Emploi, éducation, environnement, santé, transports… aucun secteur n’a été oublié. Même pas celui du sport : « Regardez juste les exemples d’un Décathlon qui ne cesse de progresser et d’un GO Sport qui périclite. L’un a misé sur l’IA, l’autre non ». Selon lui, on observe aujourd’hui une différence significative entre les entreprises qui ont pris le virage de l’IA et celles qui ne l’ont pas fait. « Je ne veux pas que l’on soit assis à l’arrière du train de l’IA », cette phrase est de Xavier Niel. En annonçant il y a quelques jours un investissement de 200 millions d’euros dans l’intelligence artificielle pour créer un écosystème, l’homme d’affaires a une nouvelle fois secoué la French Tech. « Quand une révolution tech éclate, on veut en faire partie. Il y a 25 ans la révolution s’appelait Internet, et on était là. Aujourd’hui, elle s’appelle intelligence artificielle, et on est bien décidés à être là aussi. Vous commencez à nous connaître : quand on entre dans le jeu, ce n’est pas pour regarder le match se faire sans nous », déclare-t-il.

Pour peser dans le marché de l’IA, il faut de la puissance de calcul et donc des supercalculateurs. Cela suppose d’investir massivement. « Iliad l’a fait. Résultat : nous disposons aujourd’hui de la plus grande puissance de calcul Cloud dédiée à l’IA déployée à ce jour en Europe. Et ce n’est que le début », ajoute-t-il. Cela fait plusieurs années déjà qu’Iliad travaille au développement d’un Cloud européen avec sa filiale Scaleway. « Nous voulons – et nous pouvons – créer un champion européen de l’IA. C’est une question de souveraineté : pour protéger nos données, on a besoin de plateformes implantées sur notre territoire. Seulement, il ne suffit pas de faire émerger un champion, mais tout un écosystème français. Parce que nous voulons y contribuer, nous allons donc créer un laboratoire de recherche en IA, en y mettant les moyens et en recrutant les meilleurs chercheurs », s’enthousiasme-t-il.

L’IA n’est pas l’apanage des grandes entreprises… Si les grands groupes ont par définition davantage de moyens, l’IA concerne toutes les entreprises. Quelle que soit leur taille. Pour elles, les gains ne sont plus à démontrer. Qu’ont-elles à y gagner ? Des gains de productivité, mais aussi l’opportunité de se transformer et de valoriser leurs données. Ou encore d’optimiser leurs placements. Si rares sont les dirigeants qui remettent en cause l’intérêt de cette technologie, il est parfois plus complexe en revanche d’envisager concrètement l’application dans son activité quotidienne.

Elles recourent alors à des experts, comme AI Builders, spécialisé dans la transformation Data - IA des entreprises. « Nous couvrons toutes les étapes de cette transformation qui s’impose aux entre- prises, pour faire en sorte qu’elles ne ratent pas le train. On recueille d’abord les besoins, avant de déployer une stratégie et d’acculturer les forces vives. Ce déploiement via des schémas directeurs revient à établir une cartographie permettant de décrire la procédure d’installation de l’IA et préciser les objectifs business » détaille Stéphane Roder, fondateur de ce cabinet de conseil. Il ne s’agit pas selon lui d’inonder l’entreprise avec de l’IA mais de l’utiliser là où elle sera pertinente et efficace. C’est- à-dire là où elle sera source d’efficience opérationnelle ou de nouveaux revenus.

Pour Pernod-Ricard, il a ainsi travaillé sur un assistant numérique qui permettait aux commerciaux d’identifier le distributeur à privilégier, le produit à mettre en avant mais aussi le discours à tenir. Résultat : dans une région où la marque était minoritaire en termes de parts de marché, elle a vu ses revenus croitre de 80 % en l’espace de quelques mois. Il souligne que les PME-TPE y ont aussi largement recours, avec des attentes encore plus marquées.

 

Elle suppose des formations sur mesure. La CCI de Paris a mis en place des formations qui ne cessent de s’adapter, tant cette technologie évolue vite. « Même les plus chevronnés sont régulièrement dépassés. Nous faisons de l’évangélisation, notamment auprès des commerçants parisiens, qui sont impressionnés par les opportunités qu’ils découvrent », poursuit Marc Carbonare. Récemment, il a accompagné une boulangère à Montmartre : « elle était sidérée de ce qu’on pouvait faire avec l’outil. Elle a notamment réalisé qu’on pouvait mettre le nom des produits japonais, un atout fantastique pour séduire sa clientèle ».

L’IA permet donc d’être davantage dans l’hospitalité et de mieux accueillir les clients étrangers. Un réel atout pour une ville touristique comme Paris, surtout à l’aube des Jeux Olympiques. « Pour la partie administrative et la gestion de stocks, ils prennent conscience là aussi du gain de temps autorisé. Les fiches hygiène par exemple sont générées en quelques secondes. Grâce à la prédiction, on peut garantir aux restaurateurs des gains sur leur matière première, leur personnel… et donc générer des taux de marge plus élevés », précise-t-il. Et d’ajouter : « Pour un restaurant bistronomique, nous avons demandé à ChatGPT de rédiger une carte avec 10 entrées, 10 plats et 10 desserts, en utilisant les produits locaux du Sud-Ouest. Le résultat était bluffant. Idem pour une société spécialisée dans les cocktails prêts à boire. ChatGPT nous a concocté une recette très prometteuse à base d’ingrédients japonais, mais à la manière française, pour le lancement d’une collection à l’ambassade de France à Tokyo ». Nul doute, l’IA est une aide à la décision pour augmenter sa performance. Et les TPE réalisent que ce n’est pas juste pour les grands. « Nous souhaitons lutter contre l’illectronisme et acculturer les entreprises pour apprendre cette nouvelle langue, sans quoi elles risquent d’être déclassées », confirme Soumia Malinbaum, présidente de la CCI Paris. Tout en précisant qu’il y a une certaine effervescence parisienne.

“ Certaines personnes ne seront sans doute pas remplacées par une IA, mais peut-être en revanche par quelqu'un qui l'utilise mieux ”

Ne serait- ce que parce que la capitale compte 5 000 start-ups, qui travaillent dans une approche Test and Learn. « Certaines se sont penchées sur le sujet des molécules pharmaceutiques, et ont récupéré toutes les data qui existaient pour en faire une synthèse. Avec de grands espoirs pour la recherche thérapeutique », ajoute- t-elle. Plusieurs jeunes pousses sont sur les rangs dans le champ de la santé, comme celle d’Alexandre Lebrun, qui a revendu deux start-ups dans l’IA dont la dernière à Meta. Après avoir passé quelque temps dans le laboratoire du géant américain, il a monté Nabla, pour développer des outils d’IA pour les médecins. Soumia Malinbaum précise qu’il peut y avoir un effet démultiplicateur lié à la densité de PME et de TME, une spécificité parisienne comparé à d’autres capitales européennes. Ces derniers mois, Paris a d’ailleurs vu de nouvelles start-up éclore dans le domaine, comme Mistral AI et Dust. De nouveaux lieux émergent, à l’image de SCAI. Sorbonne Center for Artificial Intelligence réunit dans un lieu unique, au cœur du Quartier latin, un éventail stratégique des disciplines de l’intelligence artificielle moderne. « Notre ambition est de contribuer significativement à l’excellence de la recherche interdisciplinaire et de la formation en intelligence artificielle en favorisant les échanges entre chercheurs, enseignants, étudiants et industriels », souligne Dominique Caillard, responsable marketing corporate formation professionnelle continue. Pour la présidente de la CCI Paris, il est important de préserver une certaine souveraineté et d’adopter une IA à la fois éthique et responsable. « Dans une période où le réchauffement climatique est très prégnant, il va falloir réduire notre empreinte carbone avec des engagements forts. Le numérique représente un angle mort », confesse-t-elle. Si beaucoup de questionnements et de doutes subsistent parfois de façon très légitime, un nouveau monde se dessine.

L’IA sera-t-elle aussi révolutionnaire que l’a été en son temps l’imprimerie ? L’avenir nous le dira. Ce qui est certain, c’est qu’elle marque l’avènement de nouvelles pratiques, avec des perspectives enthousiasmantes. Que ce soit pour la finance de marché ou d’autres secteurs, la mise en lien des data nous oriente vers des informations prédictives, véritablement essentielles pour réaliser des choix stratégiques synonymes de performance. Elle peut permettre aussi de rendre les réflexions plus intelligibles et de prendre du recul.

C’est par exemple tout l’enjeu de Pluralisme. « Nous analysons les prises de parole politique et calculons les temps de parole, à partir de données statistiques pour mieux comprendre la communication et la façon dont les différentes idéologies imprègnent le débat public », explique Lars Vrignon, responsable commercial de cette structure. En résumé, loin d’être « le grand méchant loup » qu’on nous annonce, l’IA peut impacter favorablement la société. « Il convient de se l’approprier de façon créative pour donner vie à des produits augmentés et à des projets encore plus inspirants », estime quant à lui Frédéric Martin, consultant à l’origine du modèle Adapt and Fly. Selon lui, on a trop tendance à entendre que l’IA va nous diminuer, alors qu’au contraire, dans la mesure où cette technologie libère l’humain, nous pourrions en sortir grandis ! Pas de doutes, l’intelligence artificielle est partout : qu’il s’agisse de guérir des maladies, de faciliter le quotidien ou d’accroitre les performances business.

Elle génère beaucoup d’enthousiasme de par les perspectives qu’elle offre. Être optimiste quant à cette technologie n’exclut pas une posture critique et un regard analytique. Ne serait- ce que pour adopter la meilleure façon de la déployer dans l’entreprise, en formant d’une part, et en informant d’autre part, tant les paradigmes risquent d’être chamboulés. Dans ce bolide qui évolue à grande vitesse, il faut savoir garder les commandes et assurer une conduite vigilante… C’est tout l’enjeu de l’IA Act, un texte sur lequel travaille le Parlement européen. Le MEDEF y est étroitement associé.