Claire Mounier-Vehier, co-fondatrice du fonds de dotation "Agir pour le coeur des femmes".
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Cardiologue et professeur de médecine vasculaire, Claire Mounier-Vehier est aussi cofondatrice du fonds de dotation Agir pour le cœur des femmes. Plus encore qu'une boussole, la prévention est son mantra. C'est la raison pour laquelle elle est déterminée à agir pour sensibiliser toujours plus sur l'enjeu si essentiel que représente notre santé!
La médecine, c'était une réelle vocation pour vous ?
CLAIRE MOUNIER-VEHIER : Chez nous, c'est une affaire de famille. Ma maman a exercé en tant que médecin généraliste à la RATP. Quant à mon père, le Pr André Vacheron, il était cardiologue chef de service à l'hôpital Necker. Il a été président de l'Institut de France et président de l'Académie nationale de médecine. Il a aujourd'hui 91 ans. Depuis l'âge de 7 ans, je sais que je rêvais de devenir médecin. J'ai étudié à Bichat, parce que je ne voulais pas aller à la fac de Necker avec mon père, pour ne pas être étiquetée « fille de ».
Pourquoi avez-vous souhaité devenir cardiologue ?
Je suis amblyope, un dysfonctionnement de la vue qui a conditionné mon choix de carrière car initialement, je voulais être gynécologue obstétricien. Du coup, je me suis orientée vers la cardiologie, discipline dynamique. Très tôt dans ma carrière d'interne à Lille, j'ai eu la chance de rencontrer le Pr Alain Carré, un chef de service formidable, spécialisé en hypertension artérielle. C'était l'un des rares qui n'était pas contre l'idée de travailler avec des chefs de clinique femmes. Le plafond de verre existait déjà et il est encore très résistant aujourd'hui ! 60 % des étudiants en seconde année de médecine sont des filles, mais seulement 20 % des professeurs des universités - praticiens hospitaliers sont des femmes...
Une seule de vos trois filles a été « piquée par le virus de la médecine ». Une déception ?
Pas du tout. Ma dernière, Agathe, âgée de 27 ans, souhaite en effet devenir médecin généraliste avec une certification en gynécologie. Les deux autres ont fait des choix très différents, et l'essentiel est qu'elles soient heureuses et épanouies.
Vous avez cofondé « Agir pour le cœur des femmes » avec Thierry Drilhon, dirigeant d'entreprise. Quelles sont les missions de ce fonds de dotation ?
L'objectif est que les femmes prennent en main leur santé cardio-vasculaire à toutes les « phases clés » de leur vie. Mais aussi pour accélérer la prévention en actions en leur donnant accès au dépistage et aux soins cardio-vasculaires au plus pres de chez elles. Cela suppose de former et d'associer l'ensemble des professionnels de santé au sein des territoires. Enfin, nous voulons stimuler et accélérer la recherche médicale sur les spécificités du risque cardio-vasculaire féminin. Rappelons que les maladies cardio-vasculaires sont la première cause de mortalité chez la femme, tuant encore 200 femmes par jour en France. Nous avons créé ce fonds en fevrier 2020, en manant des expertises très différentes. Thierry Drilhon a occupé des fonctions de direction chez Microsoft, Cisco, Euromédia...
Dirigeant d'entreprise et vice-président de la Franco British Chamber, il apporte son expertise et son savoir-faire dans la conduite et le développement des partenariats sans compter l'implémentation de la prévention en entreprises. Il adore la médecine, et il a d'ailleurs un sens clinique très prononcé. C'est une magnifique aventure humaine.
L'une des actions emblématiques d'Agir pour le cœur des femmes, c'est le bus du cœur des femmes...
Oui, effectivement. Ce bus se déplace dans plusieurs territoires, à la rencontre des femmes. Nous en dépistons en moyenne 300 par étape. Ce partenariat ville/hôpital représente un gigantesque travail. Cette action est devenue en trois ans une véritable campagne nationale de prévention. Nous avons déjà dépisté près de 10 000 femmes et nous avons créé un Observatoire national de la santé des femmes. Nous avons reçu l'agrément de la CNAM et de trois minis-tères. Nous pouvons compter sur le soutien de nombreux partenaires privés. C'est une initiative très humaine.
Quel regard portez-vous sur une médecine de plus en plus numérique ?
Les gens ont besoin d'humanité. Les entretiens dans notre bus sont menés par des médecins dans une ambiance cocoo-ning. Il n'y a aucun examen clinique sauf la mesure de tension et les prises de sang au bout du doigt. On aurait pu prévoir un échange téléphonique, mais notre philosophie, c'est de remettre l'écoute, le regard, la gestuelle, le non verbal au centre du soin. C'est ce que j'essaie d'apprendre à mes internes. Interroger un patient, cela s'apprend et ce moment là ne pourra jamais être remplacé par un ordinateur. Les deux peuvent être complémentaires, mais à mes yeux, la médecine, c'est une vocation. C'est un instinct.
Vous êtes médecin à l'hôpital public, vous êtes fortement investie dans des actions d'intérêt général et vous êtes mère de trois enfants. Comment trouvez-vous le temps ?
Mon mari m'aide beaucoup et il m'aide à assumer mon côté anti-conformiste. Je ne supporte pas l'idée d'être mise « dans un moule ». Je trouve cela très « enfermant ». Sensibiliser, c'est véritablement un combat à mes yeux, et je suis prête à y consacrer du temps.
Même quand vous faites vos courses, vous faites de la prévention...
Je suis obsessionnelle. Je me promène avec mes petites cartes « Agir pour le cœur des femmes » et je discute avec les vendeuses, avec les clientes... C'est une sorte d'instinct médical qui se manifeste en permanence, même en vacances !
On sent chez vous beaucoup de combativité, de courage et d'humilité...
Mon parcours n'a pas été facile. J'ai communiqué sur les réseaux sociaux sur mon récent cancer du sein. Pourtant, je ne bois pas, je ne fume pas... mais j'ai subi beaucoup de stress. Et je ne cesse d'alerter sur ses ravages. Je demande aux femmes de témoigner pour sensibiliser, et il m'a paru important de faire de même. Je me suis exprimée non pas en tant que femme, mais en tant que patiente pour raconter ma maladie. Pour toucher les gens, je pense qu'il faut « parler vrai». J'en suis fière car cela a déclenché plusieurs centaines de prises de rendez vous pour des mammographies. La résilience c'est le fait de tomber, de pleurer un grand coup, puis de remonter.
Vos posts sur les réseaux sociaux sont emprunts d'une grande humanité. Etes-vous sensible aux commentaires des internautes ?
J'ai la chance qu'ils soient la plupart du temps positifs. Mais j'ai du mal avec les compliments, ils me mettent mal à l'aise.
Vous décrivez-vous comme une hyperactive ?
Oui. Quand j'étais petite, j'ai redoublé deux fois pour indiscipline. A l'école, je ne tenais pas en place. Je pense qu'aujourd'hui, on me prescrirait un traitement. En revanche, il me faut au moins 7h de sommeil. Je fais une sieste dans la journée. J'ai tendance à passer très vite d'un sujet à un autre, je fonctionne par associations d'idées.
Quelles sont les personnes qui vous inspirent le plus ?
Au-delà de mon mari et de mon cofondateur, je citerai Marc Ladreit de Lacharrière. Il a une énergie débordante, et il aime s'investir dans des causes. C'est d'ailleurs l'un des mécènes d'Agir pour le cœur des femmes. C'est un homme profondément humain, et doté d'un grand sens de l'humour. J'aimerais aussi citer feue la professeure Mireille Brochier, une grande dame de la cardiologie.
C'est quoi aujourd'hui votre rêve le plus cher ?
Être en harmonie. Je ne cherche pas le pouvoir. Soigner les autres, cela m'apaise. En parlant de rêve, je pense que c'est important d'aller au bout des siens. J'avais une prof d'histoire en 5ème qui m'avait dit que j'étais tellement nulle que je ne serais jamais médecin. Comme quoi...