À Montmartre, on met encore Paris en bouteille
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De Montmartre, on connaît les caricaturistes, le Sacré-Coeur et les Moulins, mais pas son vignoble. C’est pourtant là, au coeur du 18e arrondissement, que se nichent 1 500m2 de vignes. Dans ce lieu de patrimoine, le raisin est pressé, puis vendu pour financer des oeuvres de charité.
Pour venir admirer les vignes de Montmartre, il faut le mériter. Peu importe d’où vous venez, il faut d’abord s’attaquer aux côtes et aux escaliers de la butte pour ensuite se frayer un chemin parmi les nombreux touristes qui déambulent dans le dédale des petites rues pavées. Au coeur du 18e arrondissement de Paris, se dresse ce drôle de coteau de vignes, orienté plein nord. Les promeneurs s’arrêtent et immortalisent ce clos hors du temps, en glissant leur smartphone à travers les grilles vertes.
Sauvées par un décret
Avant d’être un lieu touristique, ces vignes collées au musée de Montmartre sont surtout un témoin historique. « Les premières traces des vignes à Montmartre remontent au IVe siècle. Dans l’un de ses textes, l’empereur romain Julien salue l’excellente qualité du vin du Mont de Mars qui n’est pas encore le Mont des Martyrs », détaille Jean-Manuel Gabert. Le président l’association du Vieux Montmartre et véritable mémoire vivante du lieu ajoute : « c’est seulement après la construction de l’Abbaye de Montmartre au 12e siècle, que le développement s’accélère avec l’exploitation des vignes par les Abbesses de l’Abbaye fondée par Adélaïde de Savoie ». À l’époque, Montmartre est un faubourg de Paris et l’implantation des vignes dépasse largement l’espace qu’elles occupent aujourd’hui. Vers le XVIe siècle, les meuniers - très présents à Montmartre - cultivent le raisin au sommet de la butte et sur les plaines alentour pour fabriquer un vin réservé à la consommation locale. Tout bascule en 1860, quand Montmartre est annexé à la ville de Paris. « L’urbanisation se développe, les vignes sont arrachées pour construire des bâtiments ou abandonnés car toutes les exploitations d’Ile-de-France sont touchées par une épidémie de phylloxéra, une maladie de la vigne causée par un insecte du même nom », raconte Jean-Manuel Gabert. Les vignes sont alors appelées à disparaître mais la parcelle que l’on connaît aujourd’hui est épargnée. « La société du Vieux Montmartre demande dès 1900 à ce qu’on sauve la butte face à la spéculation. Un conseiller municipal nommé Jean Varenne incite la ville de Paris à acheter ce terrain parmi d’autres dans le quartier mais à sa mort, un sénateur veut s’en emparer pour construire des immeubles, précise Jean-Manuel Gabert. C’est à ce moment-là que l’association en appelle au préfet pour régler ce différend. Résultat, il signe un décret d’inconstructibilité du terrain en 1929 ». Cette victoire pour le quartier permet de replanter des vignes dès 1930. La vente n'est désormais plus destinée à la consommation locale mais au financement d'oeuvres sociales.
Un but caritatif
Le retour des vignes signe un réel renouveau dans l’histoire du quartier. C’est d’abord un moment festif avec, dès 1934, le retour de la fête des vendanges. « Pourtant à cette époque, on n’avait même pas recommencé à faire du vin », sourit Eric Sureau, président du Comité des fêtes de Montmartre. On récoltait le raisin et on le pressait mais on le gardait en jus pour le distribuer aux édiles, aux associations et aux hôpitaux du coin. La production du vin recommence seulement en 1953. Aujourd’hui, la fête des vendanges de Montmartre est connue pour ses concerts, ses défilés ou encore son grand marché gastronomique artisanal qui accueille chaque année près de 500 000 visiteurs curieux. Cette semaine de festivités permet au Comité des fêtes d’organiser des visites dans les vignes et de vendre environ 700 bouteilles sur 1 500 à 2 400 en fonction de la production : 35 euros pour une bouteille de rouge de 50 cl, 30 euros pour une bouteille de rosé. Souvent critiqué, le prix finance en réalité des œuvres sociales. Une tradition très ancrée au sein du Comité des fêtes. « Au début, tout était donné à une association qui aidait les enfants défavorisés : Les Petits Poulbots. Par la suite, les dons se sont diversifiés. Désormais, nous organisons le repas des anciens pour près de 1 000 personnes âgées nécessiteuses et la galette au mois de janvier mais nous donnons aussi toujours aux Petits Poulbots, précise Eric Sureau. Nous apportons également de l’aide à l’épicerie solidaire du Secours Populaire et aux maraudes de la protection civile. » La liste est encore longue, près de 100 000 euros servent chaque année à financer les œuvres sociales. Une somme récoltée également grâce aux ventes du kiosque sur le parvis du Sacré-Coeur. Au fil des années, le but caritatif n’a jamais disparu mais l’exploitation des vignes, elle, a bien évolué.
La fête des vendanges
Depuis 1934, 5 jours de fête populaire viennent colorer tous les mois d’octobre à Paris lors de la mythique Fête des Vendanges ! En octobre dernier, pour la 90e édition évènement, une cuvée spéciale a vu le jour baptisée « Le 18e se prend aux jeux » ! À l’approche des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, le 18ème arrondissement a emprunté la devise Olympique : Plus vite, plus haut, plus fort – ensemble. 5 jours durant, au coeur des 8 quartiers du 18ème arrondissement de Paris, la Fête des Vendanges de Montmartre a proposé des rencontres entre l’art et le sport.
“ Les vignes et le quartier sont l’empreinte vivante d’une mémoire patrimoniale et d’un esprit, celui du village de Montmartre. ”
Un changement d’image
Des vignes exposées plein nord et un mélange de 25 cépages dont certains sont très anciens : certains diront que le vin du Clos Montmartre est de la « piquette ». Un mot qui fait pâlir Eric Sureau, le président du Comité des fêtes. « C’est trop facile de dire que c’est mauvais quand on a jamais goûté. Les gens répètent cela parce qu’ils l’ont entendu quelque part mais ne savent pas ce qu’il en est vraiment. Effectivement, avant les gens achetaient le vin aux enchères pour l’ajouter à leur collection mais désormais ils veulent le boire », lance-t-il. Jean-Manuel Gabert, président de l’association du Vieux Montmartre, hoche la tête : « On entend ce refrain partout, surtout de la part des guides et ça fait beaucoup rire mais c’est complètement faux. » Tous deux assurent que, depuis des années, tout est fait pour que le vin évolue et s’améliore
pour atteindre l’excellence. En 1995, un premier œnologue s’attaque à ce grand chantier et depuis 2013, une experte, Sylviane Leplatre - aidée par un vigneron - a repris les rênes pour dépoussiérer ce vin très critiqué. « Elle a, par exemple, entamé une replantation des vignes. Chaque année, entre 200 et 250 pieds sont arrachés et remplacés par des pieds de vignes provenant de Suisse et conçus pour résister aux maladies. Résultat, on a plus de raisins et de meilleure qualité », développe Eric Sureau. Tout ce processus doit se terminer dans environ quatre ans avec la conservation d’un rang de vignes historiques.
Un nouveau système d’irrigation a aussi été mis en place pour que l’eau rentre mieux dans ce sol historiquement assez perméable. Enfin, la mairie a également offert du matériel bien plus élaboré que celui utilisé précédemment. « Nous avons, par exemple, un pressoir pneumatique. Il presse petit à petit comme s’il caressait le raisin. Grâce à cela, on gagne environ 30 % de jus par rapport à une presse à l’ancienne », poursuit Eric Sureau. La popularisation du vin de Montmartre auprès du grand public passe aussi par des visites organisées tous les samedis à 14h30 depuis 2021 par Jean-Manuel Gabert et Eric Sureau. Leur but est de retracer l’historique du lieu et de leur expliquer le processus de fabrication du vin. Ce ticket est aussi couplé avec une visite du musée de Montmartre collé au clos où la boutique propose l’achat de bouteilles. Ces dernières viennent tout droit des caves de la mairie du 18e arrondissement. « Le seul vin à être mis en bouteille à Paris », assure Jean-Manuel Gabert. Pendant ce temps, une voisine veille sur le clos, confie Eric Sureau, Montmarmatois depuis plusieurs générations : « Je connais très bien sa propriétaire et parfois elle m’appelle quand elle voit à sa fenêtre que quelque chose ne va pas. Mon arrière grand-mère habitait déjà dans l’immeuble où je suis né. » C’est aussi cela l’esprit de Montmartre : un assemblage entre ceux qui vivent là depuis des années et ceux qui ont été « adoptés ». Les « Montmartrois de coeur », comme on les appelle, à l’image de Jean-Manuel Gabert. Les vignes et le quartier sont l’empreinte vivante d’une mémoire patrimoniale et d’un esprit, celui du village de Montmartre.