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"Intuition, passion et curiosité : son trio gagnant", Éléonore Baudry, CEO Figaret Paris

À la tête de Figaret Paris, Éléonore Baudry occupe ce poste depuis près de cinq ans, après un parcours éclectique et international. Curieuse et ouverte d'esprit, elle à su insuffler à la marque un réel dynamisme. Moderniser l'image sans renier le classicisme et l'héritage, telle est son ambition. Un pari réussi !

Revenons sur votre parcours. En 2005, vous rejoignez la stratégie du groupe Kering, faisant suite à 7 années passées au sein du cabinet de conseil Kearney dans la « practice retail ». Qu’avez-vous appris à l’occasion de ces expériences ?

ÉLÉONORE BAUDRY : Le conseil, c'était une période vraiment très excitante et une expérience géniale pour (presque) débuter une carrière (après quelques années chez Procter & Gamble). Cela m’a énormément plu et a nourri ma curiosité, j’ai également compris que tout pouvait être passionnant : une mission d’aménagement du territoire, le lancement d’un opérateur télécom en Égypte, la transformation d’une enseigne de bijoux. Il s’agit toujours de rencontres et d’ardeur.

Aviez-vous un plan de carrière ? Ou avez-suivi les opportunités qui se sont présentées ?

Absolument pas. Mes changements ont été le fruit d’opportunités, de discussions, En revanche, je fais confiance à mon intuition pour percevoir les évolutions de marché, les tendances. J’ai aimé orienter mes choix en fonction de ces idées-là. 

“ Ce n'est pas avoir tort que à avoir raison trop tôt. On bénéficie de plus de temps pour se tromper et s'améliorer ”

Chez Kering , vous devenez l’une des premières « digital officer » d’un groupe de luxe. Puis vous devenez directrice du digital de la marque Gucci, une marque très en avance sur le numérique. Racontez-nous cette aventure ?

ÉLÉONORE BAUDRY: Transfuge du conseil, jai d’abord rejoint la stratégie de Kering, À ce moment, en 2006, je voyais que le web devenait prépondérant dans toutes les catégories dans le monde… sauf dans le luxe. Jai travaillé le sujet et ai proposé un plan d’accélération pour les marques de Kering. Ainsi j'ai créé les premiers sites vendeurs de la plupart des marques (Yves Saint Laurent, Balenciaga, Stella McCartney) puis j'ai pris le poste opérationnel nouvellement créé de « digital officer » de Gucci, basée aux États-Unis. C’était très novateur de la part de Kering de parier sur le web aussi tôt. Contrairement à l’empereur Hadrien chez Yourcenar, je pense que ce n’est pas avoir tort que d’avoir raison trop tôt. On bénéficie juste de plus de temps pour se tromper et s’améliorer.

Qu'est-ce que vous en avez retenu, et est-ce que cela n’a pas été trop dur de rentrer en France en 2011 ?

J'estime avoir eu une chance incroyable. Je révais de New York. Je ne sais pas si on peut encore le dire, mais j'ai appris l’anglais en regardant les films de Woody Allen. Alors j'ai vécu une véritable parenthèse enchantée en déménageant là-bas et j'ai offert à mes enfants une expérience « amazing ». J'aime beaucoup la mentalité américaine mais bosser en France c’est (aussi) un grand plaisir ! Alors rentrer chez soi est toujours une bonne idée.

De retour en France, vous avez développé la start-up Sarenza. Un grand écart en quelque sorte ?

Absolument. Il faut imaginer quitter Gucci, un bureau sur la 5ème avenue et un grand confort de travail pour rejoindre l’open space d’une start-up… Mais en troquant mes escarpins pour des Converse, j'ai rejoint une formidable école du web et ai eu un plaisir immense à gérer une très belle croissance et l’internationalisation du site pendant 4 ans.

Par la suite, c’est dans un environnement différent que vous poursuivez votre route, au sein du fonds Experienced Capital en tant que directrice associée, experte marketing & digital. Racontez-nous…

Ce fonds a été créé par Frédéric Biousse, Elie Kouby et Emmanuel Pradère, il est dédié aux marques premium, avec la particularité de leur offrir un accompagnement opérationnel. J'ai eu la chance d’arriver au départ ou presque de l’aventure et de participer aux investissements et au développement de marques comme Balibaris, BAM, Jimmy Fairly, Figaret, Sessün, ou encore Sœur. J'avais identifié ce fonds à sa création car son positionnement et l’approche accompagnante me paraissaient hyper justes. Aujourd’hui sa pertinence n’est plus à démontrer. Et Figaret est une des marques sur laquelle j'ai beaucoup travaillé dès mon arrivée…

Nouvelle aventure, depuis octobre 2018, vous êtes présidente de Figaret Paris. Quelles ont été vos priorités ?

C'était une belle endormie. Et si un certain nombre de piliers avaient été travaillés, j'ai voulu continuer et accélérer le développement de la marque. Figaret est ancré dans la vie des gens, et son savoir-faire est unique sur le marché. Il ne s'agissait pas de réinventer la marque, mais plutôt d’apporter un nouvel éclairage pour en révéler tout le potentiel et exprimer pleinement sa singularité. Intransigeants sur la maîtrise des classiques, la justesse des coupes, la qualité des matières, nous revendiquons sereinement un héritage classique. Mais si nous pratiquons « l’art de la chemise », cela ne nous empêche pas d’imaginer des collaborations moins attendues, d'introduire du mouvement, de la vie et de travailler de façon moderne, agile tout en respectant notre ADN.

Si vous avez gardé « Paris » dans le nom de la marque, c’est justement pour valoriser cet ancrage ?

Oui, bien sûr. Nous sommes une marque française et très parisienne, avec une ambition de développement international. Figaret Paris, ça fonctionne parfaitement.

Les campagnes de publicité de Figaret sont très remarquées. Vous avez choisi JoeyStarr comme égérie. Pourquoi ce choix ? N’avez-vous pas craint que ça déstabilise vos clients habituels ?

Le choix de JoeyStarr était inattendu, c’est un personnage irrévérencieux mais qui, comme notre marque, a traversé l’époque et parle à toutes les générations. Cela a pu déstabiliser mais pour l’essentiel, cette campagne a stimulé une curiosité. Tiens, pourquoi est-ce que Figaret a choisi cette égérie ? La première fois que j'ai rencontré Didier (aka JoeyStarr), il m’a dit texto « quand JoeyStarr porte une chemise, alors c’est une Figaret ». À ce moment j’ai su que j'avais fait le bon choix Figaret c’est la référence de la chemise, tout simplement. Aujourd’hui, nous sommes un peu plus assagis en communication !

Vous qui connaissez très bien le retail, quels sont les principaux défis de cet univers aujourd’hui ?

Au-delà des sujets à la mode ou pesant conjoncturellement comme la hausse des matières premières, je pense que l’enjeu pour une marque c’est ce qu’elle a à raconter. Car aujourd’hui on peut acheter tout, partout, n'importe comment et le secteur de la mode est fragilisé, Moi, je crois en l’authenticité, en la valeur temps, à l’expérience qu’une marque offre à ses clients, sur la durée. Par ailleurs, les enjeux RSE sont plus que jamais d’actualité pour notre industrie. C’est la force des marques patrimoniales : nous avons intégré ces réflexions depuis bien longtemps. Chez Figaret, nous réalisons depuis toujours nos caleçons dans les chutes de tissu de nos chemises et avons lié des partenariats avec les grands fournisseurs de tissu et nos façonniers depuis près de 50 ans pour certains.

En parlant de genre, diriez-vous que le fait d’être une femme vous a servi ou desservi dans votre carrière ?

On aimerait pouvoir dire qu’aujourd’hui être une femme est un non-sujet. Malheureusement, ce n’est pas vrai. La charge mentale des mères est une injustice profonde quand il s’agit de progresser à des moments charnières parce qu’on est fatiguées, on manque de temps et on est contraintes de refuser des dîners, alors même que ce sont souvent des opportunités de networking ou d’avancement. En ce qui me concerne, je n’ai aucun regret mais il est évident que j'ai effectué des arbitrages.. Les choses évoluent, et c’est pour le mieux.

Vous avez lancé un concept de dîners littéraires qui s’appellent « La passion du style»...

Le style, c’est ce qui réunit la littérature et la mode. Une élégance, une forme, un mouvement. De ce fait, nous avons souhaité organiser des dîners au cours desquels une personnalité évoque sa passion pour le style d’un auteur. Nous avons ainsi reçu Charles Pépin, qui nous a parlé de Camus. Ou encore Olivia de Lamberterie pour évoquer Kessel.… Je suis passionnée de littérature, c’est une chance d’organiser ces dîners.

Figaret a aussi lancé un podcast au titre évocateur « Mouiller La Chemise». Avez-vous le sentiment d’avoir mouillé la vôtre ?

Le podcast, un des premiers à avoir été réalisé par une marque en France, s’intéressait aux « bâtisseurs » d'aventures entrepreneuriales françaises. Chez Figaret, évidemment, j'ai ce sentiment de « mouiller la chemise », d’abord parce que je dirige une marque que j'aime énormément. La transformer représente un réel investissement : il y a toujours des choses à imaginer, améliorer. C’est hyper concret et exigeant. Mais je crois sincèrement au plaisir au travail. Mon mantra volé à Shakespeare : « la joie dans l’action » ! Figaret est une entreprise à taille humaine, j'ai une équipe géniale à mes côtés et nous pouvons décider et agir rapidement. J'ai fait ce choix : une relative autonomie avec un succès qui serait le mien et celui de mes équipes plutôt que d’être un rouage d’excellence dans une plus grande structure.

C’est quoi pour vous une journée idéale ?

J'ai la chance d’exercer un métier aussi créatif qu’analytique : j'aime travailler à la fois une collection pour l’année prochaine avec les équipes du style, résoudre un problème concret pour une boutique et réfléchir avec mon comité de direction sur l’expression de la marque ou son développement international. Après ce genre de journée, pas d’insomnie !

Le dernier livre qui vous a marqué ? Arcadie, d'Emmanuelle Bayamack Tam

Un lieu dans Paris ? La place de la Contrescarpe, dans le Vème arrondissement 

Un plat, un vin qui vous met en joie ? Un grand cru de Bourgogne avec un croque-monsieur

Une appli que vous utilisez souvent ? Je joue presque quotidiennement à un jeu de lettres en ligne qui s'appelle Sutom. C'est une façon assez chouette de garder un lien avec mon fils aîné qui étudie à l'étranger : nous nous défions tous les deux, il est très fort ! 

Le mode de déplacement que vous privilégiez ? Mon scooter électrique !  Est-ce à ce moment là de l'interview que l'on peut glisser un tacle à madame la maire ?

Un voyage en terre inconnue ? Le GR20 en Corse, un rêve.