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Dossier - Industries culturelles : quand la culture va, tout va (2/3)

Emily in Paris au chevet du tourisme

Les pouvoirs publics ont aussi intérêt à attirer les tournages, Au-delà de l’activité générée dans l’Hexagone, c’est une excellente façon de promouvoir la destination France. L'impact gigantesque de la série Netflix « Emily in Paris » sur le tourisme en est la preuve. Plusieurs voyagistes, mais aussi des particuliers, proposent aux étrangers, et notamment aux Américains, de se lancer sur les traces de cette héroïne, entre le Panthéon et Notre-Dame, en passant par le Palais Royal. Plusieurs villes et villages ont aujourd’hui à cœur de séduire les réalisateurs et producteurs pour permettre à notre pays de rayonner à l'international, sachant à quel point le patrimoine français fait rêver au-delà des frontières.

Les plateformes américaines, Netflix, Prime Video (du géant Amazon) ou Apple, ne sont bien sûr pas les seules à faire découvrir au monde le charme — parfois idéalisé — de notre beau pays. Canal Plus, mais aussi M6, France Télévisions et des producteurs privés financent eux aussi les productions françaises. Une façon de contrebalancer la domination qu’a longtemps exercée le cinéma hollywoodien, et plus généralement la culture anglo-saxonne. Mieux encore que les grands festivals internationaux, le succès des plateformes de streaming favorise désormais le multiculturalisme.

Un « soft power » à la française…

Parmi ses atouts, la France dispose d’un savoir-faire unique en matière culturelle : animation, jeu vidéo, écriture, scénographie, ingénierie culturelle, mais aussi enchères, restauration de livres anciens, arts de la table, gastronomie. Une expertise plébiscitée partout dans le monde. Et largement monnayable ! Prenons l’exemple des musées.

En 2017, le Louvre Abu Dhabi était inauguré en grandes pompes. L’aboutissement d’un projet amorcé dès 2005.

“ C'est une question d'indépendance et de souveraineté car il existe une bataille au niveau du soft power culturel. ”

Qu’on ne s’y trompe pas, au-delà de la dimension culturelle, le musée, avec ses prestigieuses collections et son architecture signée Jean Nouvel, avait aussi pour vocation, dès le début du projet, d’aider la France à développer ses relations commerciales avec les Émirats. D'ailleurs, l’idée d’un Louvre des Sables a germé dans l’esprit des fonctionnaires du quai d’Orsay, pas du ministère de la Culture. Avec des enjeux diplomatiques, mais aussi économiques (la « cession » de la marque Louvre a rapporté 1,4 milliard d’euros), voire militaires : la vente aux Émirats arabes unis conclue l’an dernier de 80 avions de chasse Rafale par Dassault Aviation aurait-elle eu lieu sans les liens tissés à l’occasion de ce mégaprojet ?

L'aventure du Louvre Abu Dhabi a aussi fait naître, en 2007, l’Agence France Muséums, conçue pour accompagner le développement du projet. Elle a mis en place un réseau de 21 établissements français, représentant nos collections nationales. Aujourd’hui, elle propose une palette de services d'ingénierie culturelle, au service des institutions muséales et patrimoniales, qui vont du concept à la mise en œuvre opérationnelle. Cette compétence est pain béni pour l’économie française.

Dans le même esprit, l'Agence Française d’Afalula a pour mission d’accompagner son partenaire saoudien, la Commission Royale pour Alula, dans la transformation de cette région située à mille kilomètres à l’Ouest de Riyad en une destination culturelle et touristique mondiale. Assiste-t-on à une grande « internationale de la culture » ? Ce que nous avons su faire en nous « structurant » pour exporter nos musées, ne gagnerions-nous pas à le faire pour d’autres secteurs culturels ?

Les parlementaires prennent le sujet très au sérieux. Et plaident en faveur de la conquête de marchés étrangers. Une mission sénatoriale a ainsi récemment été montée pour réfléchir à la façon de financer, de façon pérenne, l’industrie musicale française et d'assurer son rayonnement à l'échelle internationale. À sa tête, Julien Bargeton, sénateur de Paris (RDPI, ex-LRM), a rendu public en avril un rapport préconisant l’export des créations françaises. Un passage obligé selon lui, faute de quoi ces industries pourraient être fragilisées : « C'est avant tout une question d'indépendance et de souveraineté car il existe aujourd’hui une bataille au niveau du soft power culturel. Nous regrettons que des centres de décisions des majors de la musique ne soient plus situés en France. C'est une spécificité par rapport aux autres industries culturelles que sont de livre ou le cinéma qui, a contrario, jouissent de majors françaises ». Le sénateur déplore que la France ait été rétrogradée à la 6° place dans le classement du marché mondial de la musique et estime que cette filière a besoin d’une stratégie volontariste forte, car elle crée des emplois et des richesses. Il souhaite faire payer les plateformes de streaming, gratuites ou payantes, ainsi que les producteurs : « Cette contribution constituerait un nouveau canal de financement, et l'équivalent de la taxe billetterie qui existe pour le spectacle musical vivant ». De son côté, Céline Boulay-Espéronnier, sénatrice de Paris (Les Républicains) a publié un rapport intitulé « Le cinéma contre-attaque : entre résilience et exception culturelle, un art majeur qui a de l'avenir ». « Notre objectif était de dresser un état des lieux de l’industrie cinématographique au lendemain de la pandémie, rappelle-t-elle, car la crise est venue stopper une dynamique. En 2019, le cinéma français avait enregistré un nombre d'entrées record, puis les salles ont fermé leurs portes pendant deux séquences de confinement, » Le secteur a toutefois été résilient, d’abord parce qu’aller au cinéma s’inscrit dans l’ADN des Français, viscéralement attachés aux salles, mais aussi grâce aux mécanismes d'aides publiques. « Le cinéma est un art créateur de richesses. S'il bénéficie d'aides publiques, il rapporte aussi de l'argent sur le long terme grâce à la chronologie décalée des médias. Ainsi, après sa sortie en salle, un film va générer de l'argent pendant environ 15 ans, Pendant la pandémie, aux États- Unis, ily à eu la tentation de combiner sorties en salle et diffusion sur les plateformes : le résultat fut catastrophique. Quand nous allons an cinéma, nous ne regardons pas uniquement un film, mais participons à toute une économie ». La sénatrice parisienne lance un vibrant appel pour continuer d'aider les exploitants, distributeurs et autres producteurs.

Les subventions, un faux problème

Nombreux sont ceux qui fustigent les subventions dont bénéficie la culture. C’est en réalité un faux problème, d’abord parce qu’elles génèrent un retour sur investissement. Ensuite et surtout, parce que ces « aides » viennent en grande partie du privé. Ainsi, le musée du Louvre n'hésite pas à se tourner vers des entreprises quand il s’agit de s’offrir des œuvres. L'exemple de la vente du Panier de fraises des bois de Jean Siméon Chardin est édifiant. En avril 2022, un galeriste américain l’achète aux enchères pour la somme record de 24,3 millions d’euros. Laurence des Cars, présidente-directrice du musée du Louvre, interpelle alors le ministère de la Culture pour qu’il confère le statut de trésor national au tableau. Demande exaucée. Le certificat d’exportation est suspendu. L'institution dispose de 30 mois pour réunir la somme nécessaire à l’acquisition de cette toile, ce qui suppose de recourir à la générosité. du secteur privé ! De manière générale, ce dernier est très souvent mis à contribution pour mettre la main au portefeuille afin de soutenir la splendeur de notre patrimoine, Ainsi, pour financer les travaux de la BnF, récemment rouverte au public après 12 ans de travaux (cf notre article p.52), le mécénat des entreprises a représenté 7,8 millions d’euros. La vision d’une culture entièrement financée par l’État est périmée. C’est valable aussi pour le cinéma. « Contrairement aux discours que l’on entend parfois, notre industrie cinématographique ne vit pas des subventions, explique Dominique Farrugia, Producteur et PDG de Shine Fiction (groupe Banijay). Le CNC, par exemple, ne propose que des avances, lesquelles sont remboursées en cas de succès. Les financements apportés par des régions, là encore, n'ont rien d'une aide publique, ce sont des parts de coproduction. Idem pour les financements de France 2 ou France 3, qui pré-achètent et coproduisent. »

PIERRE LUNGHERETTI

« Depuis le général de Gaulle, la culture a toujours été un atout considérable pour le rayonnement de la France »

Pour Pierre Lungheretti, directeur délégué du théâtre national de la danse Chaillot, la culture a toujours été un atout considérable pour le rayonnement de la France.

« La volonté du général de Gaulle de créer un ministère de la Culture de plein exercice en 1959 répond à cet objectif. Notre politique culturelle est une vraie réussite, Chaillot s'inscrit dons cette dynamique de coopérations durables et fructueuses avec plusieurs pays. Nous construisons des programmations avec l'Amérique du Nord, l'Australie, l'Algérie ou l'Espagne (avec notre Biennale du flamenco qui se tiendra la saison prochaine du 30 janvier au 11 février 2024). La France parvient à faire rayonner so culture à l'étranger et s'est imposée comme un pays d'accueil d'artistes. », explique-t-il.

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