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Dossier - Industries culturelles : quand la culture va, tout va (1/3)

Le 27 mai dernier, au Palais des Festivals de Cannes, réalisatrice française encore peu connue du public reçoit la Palme d'or.pour « Anatomie d'une chute ». Au lieu de savourer son succès,  témoignage de la forme étincelante du cinéma français, Justine Triet fait un petit triomphe en dénonçant avec aplomb l’approche « néolibérale du gouvernement », qu'elle accuse de casser « l’exception culturelle française »… Pourtant, précisément, la culture française fait toujours exception, et c’est heureux ! Son modèle est unique au monde : d’un côté, des créations subventionnées ou financées par des mécènes, grâce à un régime fiscal favorable, de l’autre des œuvres produites par des entreprises privées qui s’exportent et servent de locomotive à l’économie française.

Ces entreprises culturelles forment le tissu de nos « industries créatives ». Tant pis si la formule choque les gardiens du Temple : les productions culturelles font bel et bien partie de l’industrie, comme c’est le cas du luxe, autre fleuron hexagonal. Les œuvres musicales, audiovisuelles, les livres, et même les jeux vidéo font l’objet de business-plans, elles doivent maîtriser leurs coûts, affiner leur marketing et leur stratégie commerciale, s’insérer dans la mondialisation pour bien s’exporter. Comme les produits manufacturier, elles sont duplicables, Mème certaines œuvres d'art le sont désormais. Le fameux « Balloon Dogs » de Jeff Koons exposé au Centre Pompidou, monumental et en inox, n’a-t-il pas été reproduit à maintes reprises en version miniature par l’artiste lui-même ?

Si les rapports entre argent et culture n’ont pas toujours fait bon ménage en France, l’approche a bien évolué ces dernières années, sous l’influence des Anglo-saxons, beaucoup moins complexés sur ces sujets. Oui, il est possible de produire de la beauté, de l’émotion, du sens et de l’identité… tout en créant de la richesse et de l’emploi.

« Pour les arts visuels, le sujet de l'industrialisation du secteur est souvent confondu avec le sujet de la reproductibilité des œuvres, et cela depuis l'essai majeur de Walter Benjamin intitulé « L'œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », estime le célèbre galeriste Kamel Mennour. Selon lui, parler d’industrialisation des arts et de la culture, c’est parler de la structuration du secteur et des services qui y sont associés au premier rang desquels l’ingénierie culturelle. « Que ce soit ait niveau des institutions ou des acteurs privés, le développement d'une offre d'ingénierie culturelle est le levier majeur de diffusion d'une expertise et d'une image de marque à un niveau international. En tant que galeriste, cela passe par exemple par une capacité de production d'œnvres monnnrentales et la monétisation de ce service auprès de manifestations culturelles qui se créent dans des régions comme le Moyen-Orient ou l'Asie », ajoute-t-il.

La culture, une industrie à part entière

Non seulement la culture s’apparente à l’industrie, mais en plus, elle en est un poids lourd. Il y a dix ans déjà, une étude d’EY, commandée par la Sacem, révélait que les industries culturelles pesaient plus que les industries automobiles, Plus aussi que le luxe ou les télécommunications ! Associé chez EY Consulting, Marc Lhermitte a piloté ce rapport qui mettait en lumière le dynamisme des industries culturelles et créatives (communément baptisées ICC), leur impact sur la création de richesse et sur l’emploi. Encore aujourd’hui, ce consultant, par ailleurs spécialiste de l’attractivité économique de la France, suit de près la façon dont ce secteur fait assaut de créativité pour générer de la croissance, « l'idée que la culture est aussi économie est assez récente, explique-t-il. De grandes métropoles comme de petits territoires font leur possible pour attirer des talents créatifs et des spectateurs, Citons Les Vieilles Charrues à Carbaix ou des événements culturels dans des villes comme Marciac ; Avignon ; Amiens, Nîmes ou encore Arles. » Selon lui, ces industries ont su partir de leur berceau parisien pour mailler le reste du territoire, comme en témoignent les antennes du Louvre-Lens ou de Pompidou-Metz.

Nul doute, la culture fait vendre, même si ce n’est pas toujours facile à mesurer. D'abord, si notre pays est attractif, c’est souvent en raison de la richesse de l’offre culturelle, qui véhicule nos valeurs et donc une image positive de la France dans le reste du monde. Un atout majeur, même s’il n’est pas quantifiable, pour vendre nos produits à l’export ou accueillir des investisseurs étrangers. Ce n’est sans doute pas un hasard si Marc Lhermitte, l’auteur du fameux rapport sur les industries culturelles de la France, est chez EY le responsable mondial du pôle « compétitivité et attractivité », et qu’il conseille les grandes entreprises du monde entier sur leurs choix d’implantation.

“ La richesse de l'offre culturelle véhicule nos valeurs et une image positive de la France ”

L'industrie de la connaissance : un fort tissu de TPE/PME et des leaders mondiaux

Que met-on dans ce grand secteur des « ICC » (industries culturelles et créatives) ? La question peut faire débat. Au sens premier, le terme désigne les secteurs de l’édition et du multimédia, de la musique, du spectacle vivant, du cinéma et de l’audiovisuel. Mais par extension, le concept s'étend aux domaines qui intègrent la créativité artistique dans leur production, incluant des activités où il est question de geste créatif, comme la mode, le design, la publicité, l’architecture, les jeux vidéo, l’art de vivre. Les notions de « geste créatif » ou de « droits d’auteurs » sont souvent retenues pour délimiter la catégorie. Parmi les champions français des ICC, on compte Hachette (3ème plus gros éditeur mondial dans les classements) ou encore Ubisoft (à la 12ème place mondiale dans le classement des acteurs du jeu vidéo). Mais il n’en demeure pas moins que l’économie culturelle est constitué d’un tissu de petites ou de moyennes entreprises. Rien qu’à Paris, on dénombre 16 000 établissements culturels (voir notre infographie, pages 48-49). D’où l'intérêt de défendre cet écosystème culturel tricolore, dans un contexte où le numérique est dominé par des géants asiatiques et américains, et d’encourager leur rayonnement.

Conscients du potentiel de ces industries sans usines, mais génératrices de valeur ajoutée et d’emplois, les pouvoirs publics réfléchissent à la meilleure façon d’encourager sa dynamique. Les différents ministres de la culture ont œuvré en ce sens : Franck Riester avait lancé les États Généraux des ICC, Roselyne Bachelot a mis en place une stratégie nationale d'accélération de ces industries et en mars dernier, Rima Abdul Malak et Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement, en charge de France 2030, ont annoncé le lancement d’un appel à projets afin d’aller plus loin dans la transition écologique des secteurs culturels.

La chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP) soutient elle aussi très activement les ICC. Elle a d’ailleurs créé une filière dédiée, pilotée par Amandine Dubessay. « Notre mission consiste à animer une communanté d’entrepreneurs, avec des offres sur-mesure afin de répondre à leurs problématiques très spécifiques. Par ailleurs, nous sommes présents dans les incubateurs et avons créé des rendez-vous réguliers à la chambre », précise-t-elle. Le volet formation est essentiel avec des écoles puissantes de la chambre de commerce et d’industrie de Paris, comme Les Gobelins (animation et création visuelle), Ferrandi (cuisine, management de l’hospitality) où encore la Fabrique (mode et luxe). Des compétences qui peuvent ensuite être renforcées grâce à un nouveau programme baptisé « 5 jours pour entreprendre dans les ICC », qui fait le plein. En parallèle, l’association « Paris, capitale de la création » a vocation à positionner la capitale comme lieu incontournable de la création. « Il faut mettre en place un cercle vertueux», analyse Soumia Malinbaum, la présidente de la CCIP Paris ce ne sont pas des usines qui fument, mais nous avons des industries de la connaissance, de la culture et du savoir-faire en matière créatif. Il convient de professionnaliser ce secteur, en aidant les entrepreneurs à créer une richesse largement exportable, » À ses yeux, il faut valoriser l’inclusion économique : « Les grands doivent faire de courte échelle aux plus petits, souvent lanceurs de tendances. Qui sait : demain, le groupe LVMH pourrait peut-être financer un incubateur sur les ICC ?»

KAMEL MENNOUR

« En matière de culture, les initiatives privées ont précédé l'action publique »

« Il est aisé de penser que la culture n'est qu'une émanation des pouvoirs publics. Or historiquement les initiatives privées ont précédé l'action publique. François Ier, Laurent le Magnifique... étaient des mécènes et ont permis, à ce titre, à des œuvres majeures de voir le jour. En France, c'est au sortir de la deuxième Guerre Mondiale seulement que la structuration d'une politique culturelle intérieure et extérieure a commencé à se mettre en place avec la création du Ministère de la Culture en 1959. De fait, il serait malvenu de considérer que l'existence d'entreprises privées ne sont que marginales, Dans le secteur des arts visuels, c'est notamment le cas des galeries, des foires d'art ou encore des maisons de ventes, d'agences de communication spécialisées. Cela concerne aussi des travailleurs indépendants
au premier rang desquels les artistes eux-mêmes, qui sont des auto-entrepreneurs et deviennent des entrepreneurs quand ils doivent structurer leurs studios et employer des collaborateurs », estime Kamel Mennour.

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